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CHAPITRE XVI.

un peu la langue phénicienne, et rendaient toujours leurs hommages à des dieux phéniciens. Voilà pourquoi le culte de Baal se perpétua si longtemps dans Israël.

Une cinquième preuve que la religion juive n’était point du tout formée est l’aventure de Michas, rapportée dans le livre des Juges[1]. Une Juive de la montagne d’Éphraim, femme d’un nommé Michas, ayant perdu onze cents sicles d’argent, ce qui est une somme exorbitante pour ce temps-là, un de ses fils, qui les lui avait apparemment volés, les lui rendit. Cette bonne Juive, pour remercier Dieu d’avoir trouvé son argent, en mit à part deux cents sicles pour faire jeter en fonte des idoles qu’elle enferma dans une petite chapelle portative. Un Juif de Bethléem, qui était lévite, se chargea d’être le prêtre de ce petit temple idolâtre, moyennant cinq écus par an, et deux habits. Cette bonne femme s’écria alors[2] : « Dieu me fera du bien, parce que j’ai chez moi un prêtre de la race de Lévi. »

Quelques jours après, six cents hommes de la tribu de Dan, allant au pillage selon la coutume des Juifs, et voulant saccager le village de Laïs, passèrent auprès de la maison de Michas. Ils rencontrèrent le lévite, et lui demandèrent si leur brigandage serait heureux. Le lévite les assura du succès ; ils le prièrent de quitter sa maîtresse, et d’être leur prêtre. L’aumônier de Michas se laissa gagner ; la tribu de Dan emmena donc le prêtre et les dieux, et alla tuer tout ce qu’elle rencontra dans le village de Laïs, qui fut depuis appelé Dan. La pauvre femme courut après eux avec des clameurs et des larmes. Ils lui dirent[3] : « Pourquoi criez-vous ainsi ? » Elle leur répondit : « Vous m’emportez mes dieux, et mon prêtre, et tout ce que j’ai, et vous me demandez pourquoi je crie ! » La Vulgate met cette réponse sur le compte du mari même de Michas ; mais, soit quelle eût encore son mari, soit qu’elle fût veuve, soit que le mari ou la femme ait crié, il demeure également prouvé que la Michas, et son mari, et ses enfants, et le prêtre des Michas, et toute la tribu de Dan, étaient idolâtres.

Ce qui est encore plus singulier et plus digne de l’attention de quiconque veut s’instruire, c’est que ces mêmes Juifs[4] qui avaient ainsi saccagé la ville et le pays de Dan, qui avaient volé les petits dieux de leurs frères, placèrent ces dieux dans la ville de Dan, et choisirent, pour servir ces dieux, un petit-fils de Moïse avec sa famille. Du moins cela est écrit ainsi dans la Vulgate.

  1. Juges, xvii. (Note de Voltaire.)
  2. Verset 13.
  3. xviii, 23-24.
  4. Juges, xviii, 30. (Note de Voltaire.)