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DE JÉSUS.

Nous avons des livres hébreux et grecs pour et contre Jésus, qui sont d’une égale antiquité. Le Toldos Jeschut[1], écrit contre lui, est en langue hébraïque. Dans ce livre, on le traite de bâtard, d’imposteur, d’insolent, de séditieux, de sorcier ; et dans les Évangiles grecs on le fait presque participant de la Divinité même. Tous ces écrits sont remplis de prodiges, et paraissent d’abord à nos faibles yeux contenir des contradictions presque à chaque page.

Un auteur illustre qui naquit très-peu de temps après la mort de Jésus, et qui, si l’on en croit saint Irénée[2], devait être son contemporain ; en un mot, Flavius Josèphe, proche parent de la femme d’Hérode ; Josèphe, fils d’un sacrificateur qui devait avoir connu Jésus, ne tombe ni dans le défaut de ceux qui lui disent des injures, ni dans l’opinion de ceux qui lui donnent des éloges si prodigieux : il n’en dit rien du tout. Il est avéré aujourd’hui que les cinq ou six lignes qu’on attribue à Josèphe sur Jésus ont été interpolées par une fraude très-maladroite. Car si Josèphe avait en effet cru que Jésus était le messie, il en aurait écrit cent fois davantage ; et en le reconnaissant pour messie, il eût été un de ses sectateurs.

Juste de Tibériade, autre Juif qui écrivait l’histoire de son pays un peu avant Josèphe, garde un profond silence sur Jésus. C’est Photius[3] qui nous en assure.

Philon, autre célèbre auteur juif contemporain, n’a cité jamais le nom de Jésus. Aucun historien romain ne parle des prodiges qu’on lui attribue, et qui devaient rendre la terre attentive.

Ajoutons encore une importante vérité à ces vérités historiques : c’est que ni Josèphe ni Philon ne font en aucun endroit la moindre mention de l’attente d’un messie.

Conclura-t-on de là qu’il n’y a point eu de Jésus, comme quelques-uns ont osé conclure, par le Pentateuque même, qu’il n’y a point eu de Moïse ? Non, puisque après la mort de Jésus on a écrit pour et contre lui, il est clair qu’il a existé. Il n’est pas moins évident qu’il était alors si caché aux hommes qu’aucun citoyen un peu distingué selon le monde n’avait fait mention de sa personne.

  1. Voyez tome XX, page 71 ; XXVI, 222.
  2. Saint Irénée assure que Jésus mourut à cinquante ans passés. En ce cas, Flavius Josèphe pourrait bien l’avoir connu. (Note de Voltaire.)
  3. C’est ainsi qu’on lit dans l’édition originale. Il y a erreur dans les nombreuses éditions qui portent : C’est Philon qui nous en assure.