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MŒURS DE JÉSUS.

pour prophètes vécurent sans femmes ; soit qu’ils voulussent s’écarter en tout de l’usage ordinaire, soit parce que, embrassant une profession qui les exposait toujours à la haine, à la persécution, à la mort même, et qu’étant tous pauvres, ils trouvaient rarement une femme qui osât partager leur misère et leurs dangers.

Ni Jean le baptiseur ni Jésus n’eurent de femme, du moins à ce qu’on croit ; ils s’adonnèrent tout entiers à la profession qu’ils embrassèrent, et, ayant été suppliciés comme la plupart des autres prophètes, ils laissèrent après eux des disciples. Ainsi Sadoc avait formé les saducéens. Hillel était le père des pharisiens. On prétend qu’un nommé Judas fut le principal fondateur des esséniens, du temps même des Machabées[1] ; les réchabites, encore plus austères que les esséniens, étaient les plus anciens de tous.

Les disciples de Jean s’établirent vers l’Euphrate et en Arabie ; ils y sont encore. Ce sont eux qu’on appelle par corruption les chrétiens de saint Jean[2]. Les Actes des apôtres racontent que Paul en rencontra plusieurs à Éphèse. Il leur demanda qui leur avait conféré le Saint-Esprit. « Nous n’avons jamais entendu parler de votre Saint-Esprit, lui répondirent-ils. — Mais quel baptême avez-vous donc reçu ? — Celui de Jean. » Paul les assura que celui de Jésus valait mieux. Il faut qu’ils n’en aient pas été persuadés, car ils ne regardent aujourd’hui Jésus que comme un simple disciple de Jean.

Leur antiquité et la différence entre eux et les chrétiens sont assez constatées par la formule de leur baptême ; elle est entièrement juive, la voici : « Au nom du Dieu antique, puissant, qui est avant la lumière, et qui sait ce que nous faisons. »

Les disciples de Jésus restèrent quelque temps en Judée ; mais, étant poursuivis, ils se retirèrent dans les villes de l’Asie Mineure et de la Syrie où il y avait des Juifs. Alexandrie, Rome même, étaient remplies de courtiers juifs. Les disciples de Paul, de Pierre, de Barnabé, allèrent dans Alexandrie et dans Rome.

Jusque-là nulle trace d’une religion nouvelle. Les sectateurs de Jésus se bornaient à dire aux Juifs : Vous avez fait crucifier notre maître, qui était un homme de bien. Dieu l’a ressuscité ;

  1. Voltaire confond ici les Esséniens avec les Assidéens, et il nous semble vouloir désigner Juda le Gaulanite, chef des zélateurs. (G. A.)
  2. Ch. xix. (Note de Voltaire.)