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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/224

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CHAPITRE XXXVI.

On croira aisément que les chrétiens grossirent à la fois le nombre de leurs martyrs et celui de leurs miracles. Quels écrivains de parti n’ont pas exagéré tout ce qui pouvait leur attirer la bienveillance publique ? On exagère pour le seul plaisir d’être lu ou écouté, à plus forte raison quand l’enthousiasme et l’intérêt d’une faction semblent autoriser le mensonge. Mais les archives secrètes des chrétiens furent perdues depuis l’an 300. Le pape Grégoire Ier l’avoue dans sa septième lettre à Euloge. On ne retrouvait plus de son temps qu’une très-petite partie des Actes des martyrs, conservés par Eusèbe. Tout ce qu’on a écrit depuis sur les anciens martyrs et les anciens miracles ne peut donc être qu’un recueil de fables.

Le plus terrible de ces miracles est celui qui est rapporté dans les Actes des apôtres. Ils disent qu’Ananias et Saphira, sa femme, deux prosélytes de saint Pierre, moururent l’un après l’autre de mort subite pour n’avoir pas donné tout leur argent aux apôtres. Ils étaient coupables d’avoir caché quelques schellings pour vivre, et de ne l’avoir pas avoué à saint Pierre. Quel miracle, grand Dieu ! et quels apôtres !

La plupart des autres miracles sont plus plaisants. Saint Grégoire Thaumaturge, c’est-à-dire l’opérateur admirable, apprend d’abord son catéchisme de la bouche d’un beau vieillard qui descend du ciel. À peine sait-il son catéchisme qu’il écrit une lettre au diable. Il la pose sur un autel ; la lettre est fidèlement portée à son adresse, et le diable ne manque pas de faire tout ce que l’opérateur admirable lui ordonne. Les païens, irrités, veulent le saisir, lui et son disciple. Ils se changent tous deux sur-le-champ en arbres, et échappent à la poursuite de leurs ennemis.

L’histoire des martyrs est encore plus merveilleuse. Le préfet de Rome fait cuire le diacre Laurent sur un gril de six pieds de long. Sainte Potamienne, pour n’avoir pas voulu coucher avec le gouverneur d’Alexandrie, est bouillie dans de la poix-résine, et en sort avec la peau la plus fraîche et la plus blanche, qui dut inspirer de nouveaux désirs au gouverneur. Sept demoiselles chrétiennes de la ville d’Ancyre[1], dont la plus jeune avait soixante et dix ans, sont condamnées à être violées par tous les jeunes gens d’Ancyre, ou plutôt ces jeunes gens sont condamnés à les violer ; et c’est là l’événement le plus naturel de leur histoire.

Qu’on nous montre un seul miracle évidemment prouvé, c’est celui-là seul que nous croirons. Nous avons entendu parler de

  1. Voyez tome XX, page 42 ; XXVI, 267 ; XXVII, 239.