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DE L’EMPEREUR JULIEN.

eaux, et Dieu nomma le firmament le ciel ; et Dieu dit que l’eau qui est sous le ciel se rassemble afin que le sec paraisse ; et cela fut fait. Et Dieu dit que la terre porte l’herbe et les arbres. Et Dieu dit qu’il se fasse deux grands luminaires dans l’étendue des cieux pour éclairer le ciel et la terre. Et Dieu les plaça dans le firmament du ciel, pour luire sur la terre et pour faire la nuit et le jour. »

Remarquons d’abord que, dans toute cette narration, Moïse

    dans Mahomet. Ils se sont vantés l’un et l’autre d’avoir des inspirations divines : c’est un artifice auquel ont eu recours tous ceux qui en ont voulu imposer au peuple, et le grand Scipion lui-même se disait inspiré. Toutes les actions de Mahomet et de Numa sont très-ordinaires. L’un est un homme persécuté qui résista avec courage, et qui devint un conquérant par son génie et par son épée ; l’autre est un législateur paisible. Mais tous les événements de la vie de Moïse sont plus extraordinaires que ceux de Gargantua. Si Moïse avait existé, l’auteur de sa Vie nous aurait dit du moins dans quelle époque de l’histoire égyptienne il aurait vécu. Le romancier qui écrivit cette fable n’a pas même l’attention de nommer le roi sous lequel il fait naître Moïse, ni le roi sous lequel Moïse s’enfuit, quatre-vingts ans après, avec six cent trente mille combattants. Il n’est fait mention d’aucun ministre, d’aucun capitaine égyptien. Quand on veut tromper, il faut savoir mieux tromper.

    Supposé qu’il y ait eu un Moïse, il est démontré qu’il ne peut avoir écrit les livres qu’on lui attribue ; mais Julien veut bien supposer un Moïse. Car que lui importe que ce personnage ou un autre ait composé l’absurde fatras du Pentateuque ? Ce qui indigne un esprit sensé, ce n’est pas le nom de l’auteur, c’est l’insolence des fourbes qui veulent nous faire adorer les romans juifs, en disant anathème aux Juifs ; qui exigent nos respects et notre argent en se moquant de nous ; qui prétendent nous fouler à leurs pieds au nom de Dieu, et faire trembler les rois et les peuples. C’est pour diviniser les plus infâmes fourberies qu’on fait languir dans la misère le cultivateur nourri d’un pain noir trempé de ses larmes, afin que M. l’abbé du Mont-Cassin et messieurs les abbés de cent autres abbayes nagent dans l’or et dans la mollesse ; afin que les évêques allemands disent la messe une fois par an entourés de leurs grands officiers et de leurs gardes ; afin qu’un prétendu successeur d’un Juif nommé Simon, surnommé Pierre, soit à Rome sur le trône des césars, au nom de ce même Pierre, qui n’a jamais été à Rome.

    Ô nations qui commencez à vous éclairer, jusqu’à quand souffrirez-vous cette exécrable tyrannie ? Jusqu’à quand vous laisserez-vous écraser par un monstre engraissé de votre substance, nourri de votre sang, et qui insulte à vos larmes ? Vous gémissez sous l’idole qui vous accable ; tout le monde le dit, tout le monde se plaint. Et on ne fait que de faibles efforts pour vous soulager ! on se contente d’inonder l’Italie de jésuites. On empêche des fainéants de moines, qui ont des millions de rentes, d’ajouter quelques ducats à ces millions. On donne des arrêts en papier contre le papier de la bulle In cœna Domini. Est-ce à ces fadaises que se sont bornés les peuples sensés du Danemark, de la Norvége, de la Suède, de l’Angleterre, de l’Écosse, de l’Irlande, du nord de l’Allemagne ?

    Du moins, du temps de Julien il n’y avait point d’évêque qui osât se dire le maître des rois, point d’abbé crosse, mitre, appelé monseigneur. La tyrannie sacerdotale n’était pas montée au comble de l’impudence.

    N. B. — Cette note, de feu M. Damilaville, convient à toutes les pages de ce livre. (Note de Voltaire.)