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DISCOURS

yeux sur la lune ou sur quelque autre astre. Tous ces corps matériels ne sont que les simulacres des êtres, que nous ne pouvons concevoir que par l’esprit. Platon a donc parfaitement connu tous ces dieux invisibles, qui existent par le Dieu et dans le Dieu suprême, et qui ont été faits et engendrés par lui : le Créateur du ciel, de la terre, et de la mer, étant aussi celui des astres, qui nous représentent les dieux invisibles, dont ils sont les simulacres.

Remarquons avec quelle sagesse s’explique Platon dans la création des êtres mortels. « Il manque, dit-il, trois genres d’êtres mortels : celui des hommes, des bêtes, et des plantes (car ces trois espèces sont séparées par leurs différentes essences). Si quelqu’un de ces genres d’êtres est créé par moi, il faut qu’il soit absolument et nécessairement immortel. » Or si le monde que nous apercevons, et les dieux, ne jouissent de l’immortalité que parce qu’ils ont été créés par le Dieu suprême, de qui tout ce qui est immortel doit avoir reçu l’être et la naissance, il s’ensuit que l’âme raisonnable est[1] immortelle par cette même raison. Mais le Dieu suprême a cédé aux dieux subalternes le pouvoir de créer ce qu’il y a de mortel dans le genre des hommes :

  1. Cette immortalité de l’âme, ce beau dogme qui est le plus sûr rempart de la vertu, et qui établit un commerce entre l’homme et la Divinité, n’était point connu des Juifs avant Platon. Ils ne l’admirent que lorsqu’ils commencèrent, dans Alexandrie, à cultiver un peu les lettres sous les Ptolémées ; encore la secte entière des saducéens réprouva toujours cette respectable idée, et les pharisiens la défigurèrent par la métempsycose. Il n’en est fait aucune mention dans les livres attribués à Moïse. Tout est temporel chez ce peuple usurier et sanguinaire. L’auteur du Pentateuque (qui le croirait !) fait descendre Dieu sur la terre pour enseigner aux Juifs la manière d’aller à la garde-robe, et pour ne leur rien révéler sur l’immortalité de l’âme. C’est à ce sujet qu’un philosophe moderne a très-bien remarqué que le législateur des Juifs songea plutôt à leur derrière qu’à leur âme. Voici l’ordre que les Juifs supposent que Dieu lui-même leur donna pour leurs excréments, Deutéronome, chap. xxiii, v. 12, 13, et 14 : « Vous porterez un boyau à votre ceinture, vous ferez un trou rond dans la terre, et quand vous aurez fait, vous le recouvrirez. » C’est dommage que Rabelais n’ait pas approfondi cette matière dans le chapitre des Torcheculs : les Juifs, dans le désert, n’avaient ni eau, ni éponge, ni coton, ni eau de lavande. À l’égard d’une âme, il est fort douteux qu’ils en eussent une, puisque ni le Pentateuque, ni Rabelais, n’en parlent. Mais après avoir ri, il faut s’indigner qu’on ose encore vanter la sagesse de la loi mosaïque, loi puérile tout ensemble et sanguinaire, loi de voleurs et d’assassins, dans laquelle on n’admet ni récompense ni châtiment après la mort, tandis que ce dogme était si antique chez les Babyloniens, les Perses, les Égyptiens. Des esprits faux, comme Abbadie, ont tâché de pallier cette grossièreté juive. Mais ils ont en vain cherché quelque passage du Pentateuque qui pût supposer l’immortalité de l’âme, ils ne l’ont pas trouvé. (Note de Voltaire.)

    — Le philosophe moderne dont Voltaire parle en cette note est Swift ou Collins ; voyez la note, tome XXVI, page 205.