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LES ADORATEURS,

pas plus sur le fond de ce mystère que les rossignols et les tourterelles.

Vous saurez seulement que de tout temps la vie a passé d’un corps dans un autre, et qu’ainsi elle est éternelle comme le grand Être dont elle est émanée.

Enfin rendons grâces à l’Être suprême, qui nous a donné le plaisir. Probablement les astres n’en ont point ; un ciron à cet égard l’emporte sur cette foule de soleils qui surpassent un million de fois notre soleil en grosseur.

LE PREMIER ADORATEUR.

Mon cher frère, que le ciron et l’éléphant, la matière brute, la matière organisée, la matière en mouvement, la matière sensible, rendent d’éternels témoignages au grand Démiourgos, éternellement agissant par sa nature, et de qui tout a toujours été, comme il n’y eut jamais de soleil sans lumière. Vous l’avez remercié de ce don du sentiment que vous tenez de lui, et que vous ne pouvez vous être donné vous-même ; mais vous ne l’avez pas remercié du don de la pensée. L’instinct et le sentiment sont divins sans doute. C’est par instinct que se forment tous nos premiers mouvements, et que nous sentons tous nos besoins. Mais les choses sont tellement combinées que, si les autres animaux sont doués d’un instinct qui surpasse le nôtre, nous avons une raison qui surpasse infiniment la leur. En mille occasions fiez-vous à votre chien, et même à votre cheval ; que l’Indien consulte son éléphant. Mais en mathématique consultez Archimède. Dieu a donné à la matière brute la force centripète, la force centrifuge, la résistance et le ressort : c’est là son instinct, il est incompréhensible ; celui des animaux l’est aussi, mais la pensée est encore plus admirable. La faculté de prédire une éclipse et d’observer la route des comètes semble, si on l’ose dire, tenir quelque chose de la puissante intelligence du grand Être qui les a formées. C’est bien là que nous paraissons n’être qu’une émanation de lui-même.

Toute matière a ses lois invariables de mouvement, toute espèce chez les animaux a son instinct, presque toujours assez uniforme, et qui ne se perfectionne que jusqu’à des bornes fort étroites ; mais la raison de l’homme s’élance jusqu’à la Divinité.

Il est très-certain que les bêtes sont douées de la faculté de la mémoire. Un chien, un éléphant reconnaît son maître au bout de dix ans. Pour avoir cette mémoire, qu’on ne peut expliquer, il faut avoir des idées qu’on ne peut pas expliquer davantage.

Qui donne cette mémoire et ces idées aux animaux ? Celui qui