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DISCOURS

valle, ont toujours été les esclaves de toutes les nations ? Considérons d’abord Abraham[1] ; il fut étranger et voyageur dans un pays où il n’était pas citoyen. Jacob ne servit-il pas en Syrie, ensuite dans la Palestine, et enfin, dans sa vieillesse, en Égypte ? Mais, dira-t-on, est-ce que Moïse ne fit pas sortir d’Égypte les descendants de Jacob, et ne les arracha-t-il pas de la maison de servitude ? À quoi servit aux Juifs, quand ils furent dans la Palestine, leur délivrance d’Égypte ? Est-ce que leur fortune en devint meilleure ? Elle changea aussi souvent que la couleur du caméléon. Tantôt soumis à leurs juges, tantôt à des étrangers, ensuite à des rois, que leur Dieu ne leur accorda pas de bonne grâce[2] : forcé par leur importunité, il consentit à leur donner des souverains, les avertissant qu’ils seraient plus mal sous leurs rois qu’ils ne l’avaient été auparavant. Cependant, malgré cet avis, ils cultivèrent et habitèrent plus de quatre cents ans leur pays. Ensuite ils furent esclaves des Assyriens, des Mèdes, des Perses ; et ils sont les nôtres aujourd’hui.

Ce Jésus que vous prêchez, ô Galiléens ! fut un sujet de César. Si vous refusez d’en convenir, je vous le prouverai bientôt, et même dès à présent. Ne dites-vous pas qu’il fut compris, avec son père et sa mère, dans le dénombrement sous Cyrénius[3] ?

  1. L’empereur bat toujours les Galiléens par leurs propres armes. Il suppose avec eux qu’ils descendaient d’Abraham, quoique cette généalogie n’ait aucune vraisemblance. Comment un Chaldéen aurait-il quitté un si beau pays pour aller s’établir dans les rochers de la Palestine par ordre de Dieu ? Toute l’histoire d’Abraham est aussi fabuleuse que celle de Moïse. Le fils d’un potier de Mésopotamie qui se transplante vers Hébron, et qui de là va à la cour de Pharaon chercher du blé à cinq cent milles, est bien extraordinaire. Mais qu’il vende en quelque sorte sa vieille femme au roi d’Égypte, ce n’est qu’une extravagance dégoûtante. Il ne manquait à ces plates aventures que de vendre encore sa belle femme, âgée de soixante et quinze ans, à un prétendu roi du désert de Gérare ; et c’est à quoi la Bible ne manque pas [Genèse, xx, 2]. Toute l’histoire d’Abraham est absurde. Julien n’en relève pas le ridicule, parce que son principal objet est le ridicule des Galiléens. (Note de Voltaire.)
  2. I. Rois, viii, 6 et suiv.
  3. Remarquez attentivement que l’empereur ne dit pas que Jésus soit né sous Cyrénius : ce serait une ignorance impardonnable. Il dit que les chrétiens le font naître sous ce proconsul. En effet, c’est ce qu’on lit dans l’Évangile attribué à Luc, ch. II, v. 2. Or rien n’est plus faux. Il est constant par tous les monuments de l’histoire que c’était Varus qui gouvernait alors la Syrie, et que Cyrénius n’eut cette place que dix ans après l’année où l’on place la naissance de Jésus. Cet anachronisme démontre le mensonge. Il est visible que Julien releva cette impertinence, et que Cyrille, n’ayant rien à répondre, la retrancha des fragments qu’il osait vouloir réfuter.

    « Ne dites-vous pas qu’il fut compris avec ses père et mère dans le dénombrement sous Cyrénius ? » Il est naturel qu’après ces mots Julien en montre toute la