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DE L’EMPEREUR JULIEN.

sentiments que des nôtres. Si quelqu’un examine avec attention votre religion, il trouvera que vos impiétés viennent en partie de la férocité et de l’insolence des Juifs, et en partie de l’indifférence et de la confusion des Gentils. Vous avez pris des Hébreux et des autres peuples ce qu’ils avaient de plus mauvais, au lieu de vous approprier ce qu’ils avaient de bon. De ce mélange de vices vous en avez formé votre croyance. Les Hébreux ont plusieurs lois, plusieurs usages, et plusieurs préceptes utiles pour la conduite de la vie. Leur législateur s’était contenté d’ordonner de ne rendre aucun hommage aux dieux étrangers, et d’adorer le seul Dieu, « dont la portion est son peuple, et Jacob le lot de son héritage ». À ce premier précepte Moïse en ajoute un second[1] : « Vous ne maudirez point les dieux ; » mais les Hébreux, dans la suite, voulant, par un crime et une audace détestables, détruire les religions de toutes les autres nations, tirèrent du dogme d’honorer un seul Dieu la pernicieuse conséquence qu’il fallait maudire les autres. Vous avez adopté ce principe cruel, et vous vous en êtes servis pour vous élever contre tous les dieux, et pour abandonner le culte de vos pères, dont vous n’avez retenu que la liberté de manger de toutes sortes de viandes. S’il faut que je vous dise ce que je pense, vous vous êtes efforcés de vous couvrir de confusion ; vous avez choisi, parmi les dogmes que vous avez pris, ce qui convient également aux gens méprisables de toutes les nations ; vous avez pensé devoir conserver, dans votre genre de vie, ce qui est conforme à celui des cabaretiers, des publicains, des baladins, et de cette espèce d’hommes qui leur ressemblent.

Ce n’est pas aux seuls chrétiens qui vivent aujourd’hui à qui

  1. Il est dit expressément dans l’Exode, chap. xxii, v. 28 : « Vous ne maudirez point les dieux ; » mais on ne sait pas trop ce que ce passage signifie. Les anciens Juifs, comme Flavius Josèphe et Philon, l’entendent à la lettre. Vous ne maudirez point les dieux étrangers, de peur qu’ils ne maudissent le vôtre. C’est le sentiment d’Origène. On a prétendu depuis que par les dieux il faut entendre les juges du peuple d’Israël ; mais il semble bien ridicule de donner le nom de dieux à des juges. Lorsqu’on donne des lois, on ne se sert point de métaphores si recherchées. On emploie le mot propre, on ne trompe point par des équivoques ceux à qui l’on parle. Toutefois il faut avouer que la langue hébraïque était si pauvre, si confuse, si mal ordonnée, qu’il n’y a presque pas un passage important dans les livres juifs qui ne soit susceptible de trois ou quatre sens différents ; c’est la langue de la confusion, c’est la véritable tour de Babel, et c’est dans ce cloaque d’équivoques que des fourbes ambitieux ont puisé des dogmes qui ont répandu sur une grande partie de la terre cet esprit de dispute, de fourberie, de méchanceté, qui arma tant de peuples les uns contre les autres, et qui fit répandre des torrents de sang. (Note de Voltaire.)