Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
LETTRE

sermon qu’on lisait roulait sur la calomnie. Faites-vous faire la même lecture : il est triste que vous en ayez besoin.

Mais relisez surtout le portrait que fait saint Paul de la charité[1] ; vous verrez s’il approuve les impostures, les délations malignes, les injures, et toutes les manœuvres de la méchanceté.

Vous n’avez pas oublié que mon parent, en rendant le pain bénit dans sa paroisse, le jour de Pâques 1768, ayant recommandé à voix basse à son curé de prier pour la reine qui était en danger, vous eûtes le malheur d’écrire à son roi qu’il avait prêché dans l’église.

Vous vous souvenez que vous eûtes l’indiscrétion (pour ne rien dire de plus fort) de publier une lettre que M. le comte de Saint-Florentin[2] vous écrivit en réponse, au nom de Sa Majesté Très-Chrétienne, avant que cette imposture ridicule fût juridiquement reconnue ; vous eûtes la discrétion de ne pas montrer l’autre lettre que vous reçûtes, à ce qu’on dit, du même ministre, quand tout l’opprobre de cette accusation absurde demeura à l’accusateur.

Il eût été honnête d’avouer au moins que vous vous étiez trompé ; vous pouviez vous faire un mérite de cet aveu. Vous le deviez comme chrétien, comme prêtre, comme homme.

Au lieu de prendre ce parti, vous publiâtes et vous fîtes imprimer, monsieur, la première lettre de M. le comte de Saint-Florentin, ministre d’État d’un roi de France, sous ce titre : Lettre de M. de. Saint-Florentin à monseigneur l’évêque d’Annecy. C’est dommage que vous n’ayez pas mis : À Sa Grandeur monseigneur l’évêque prince de Genève ; si vous êtes prince de Genève, il vous faut de l’altesse. Avouez que vous seriez une singulière altesse[3].

Mais il n’est pas ici question de dignités, de titres, et de toutes les puérilités de la vanité, qui vous sont si chères et qui vous conviennent si peu. Il s’agit d’équité, il s’agit d’honneur : tâchez que cela vous convienne.

Si vous connaissez les premiers éléments du savoir-vivre, concevez combien il est indécent de faire publier, non-seulement

  1. Ire épître aux Corinthiens, chap. xiii.
  2. Cette lettre fait partie d’une brochure intitulée Confession de foi de messire François-Marie Arouet de Voltaire, seigneur de Ferney, Tourney, Prégny et Chambésy, précédée des pièces qui y ont rapport ; Annecy, 1769, petit in-8o de iv et 47 pages. Elle est aussi dans le cinquième volume de l’Évangile du jour, collection dont Beuchot a parlé tome XXVI, page 569.
  3. Voyez, dans la Correspondance, les lettres de Biord, des 11 et 25 avril, et 2 mai 1768, et les réponses de Voltaire des 15 et 29 avril.