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PROCÈS

malgré la bassesse du sujet ; elle sert d’instruction aux pères de famille, et Claustre devient un objet digne du public, comme Tartuffe, qui commence par demander l’aumône à Orgon, et qui finit par le vouloir chasser de son logis.

Claustre, qui dans les factums écrits par lui-même a négligé de nous faire connaître son nom de baptême[1], s’est donné celui de Mentor, parce qu’il obtint d’être reçu chez le sieur Jean-François de Laborde, pour précepteur de ses deux enfants. L’emploi d’instituteur, de précepteur, de gouverneur, est sans doute aussi honorable que pénible. Un bon précepteur est un second père : le Mentor dont Homère parle était Minerve elle-même ; mais quand on se dit un Mentor, il ne faut pas être un Sisyphe.

Après ce petit exorde, il faut une narration exacte ; la voici :

Jean-François de Laborde, écuyer, né à Cayonne d’une famille ancienne et alliée à de grandes maisons, avait eu de son mariage avec la fille du sieur Le Vasseur, ingénieur de la marine, quinze enfants, dont dix sont morts en bas âge. Il reste aujourd’hui deux garçons et trois filles. Ainsi le sieur Claustre est réduit à ne vexer que cinq personnes en ligne directe, au lieu de quinze.

Ces cinq personnes sont Jean-Benjamin de Laborde, premier valet de chambre du roi ; Jean-Louis de Laborde, qui a fait les fonctions du maréchal général des logis de l’armée, et qui est mestre de camp de dragons ; Monique de Laborde, épouse du sieur Fontaine de Cramayel, fermier général ; Élisabeth-Joséphine de Laborde, épouse du sieur Binet Demarchais, premier valet de chambre du roi, gouverneur du Louvre, major d’infanterie ; Henriette de Laborde, épouse du sieur Brissard, ancien fermier général.

Le père de cette nombreuse famille n’était pas riche ; mais, étant né avec des talents et ayant étudié la science économique, qui depuis a fait tant de progrès parmi nous, il fut employé par le gouvernement dans plusieurs traités de commerce, et le roi le gratifia, en 1739, d’une place de fermier général, qu’il abandonna au bout de vingt ans pour s’occuper uniquement du bonheur de tous ses parents.

Il avait deux frères et une sœur : les frères étaient Pierre-Joseph de Laborde Desmartres, qui vit encore ; l’autre, Léon de Laborde, mousquetaire, qui mourut jeune.

La sœur était Jeanne-Joséphine, mariée au sieur de Verdier, seigneur de la Flachère, dans le Lyonnais.

  1. Il s’appelait André de Claustre, et était prêtre du diocèse de Lyon.