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PROCÈS

-Louis ; et il persuade au bon et facile Desmartres de venir s’établir dans ce quartier. « Vous demeurez, lui dit-il, auprès de votre oncle le fermier général ; rien n’est plus dangereux pour l’innocence ! les séductions du grand monde sont diaboliques. Retirez-vous dans l’île Saint-Louis, j’aurai soin de votre salut et de vos affaires. »

Desmartres se livre avec componction à ces remontrances. Le pieux Claustre lui trouve bien vite un appartement. Un heureux hasard fait rencontrer ensemble, quelque temps après, Mlle Boutaudon et le sieur Desmartres chez des gens de bien ; le sieur Desmartres rend de fréquentes visites À la provinciale, qui prend insensiblement un intérêt véritable à Desmartres. « Ma nièce n’est pas belle, lui disait quelquefois le convertisseur Claustre ; mais elle est capable de rendre un mari heureux. Elle a peu d’esprit, mais le peu qu’elle a est bon, elle conduirait ses affaires avec beaucoup de prudence ; et, entre nous, je vous souhaiterais une femme semblable à elle, une épouse selon le cœur de Dieu. »

Desmartres fit de profondes réflexions sur ces ouvertures ; le bon cœur de la nièce les seconda. Desmartres avoua enfin à son directeur qu’il ne pouvait vivre sans Mlle Boutaudon, et qu’il voulait l’épouser.

Claustre, tout étonné, lui dit qu’il ne parlait pas sérieusement. Mais, après quelques mûres réflexions, il lui conseilla, pour son bien, de prendre ce parti. Mademoiselle sa nièce, il est vrai, n’avait rien ; mais son bon sens devait faire rentrer à son mari deux millions dont il avait été dépouillé dans sa minorité ; ainsi elle apportait réellement deux millions en mariage. De plus, lui Claustre, devenant son oncle, était obligé, en conscience, d’intenter un procès à toute sa famille, et de faire tous ses efforts pour la ruiner et pour la déshonorer, ce qui serait un grand avantage pour les nouveaux mariés, et le tout pour la plus grande gloire de Dieu.

D’ailleurs Mlle Boutaudon était d’une des meilleures maisons auvergnaques. « Du côté paternel, dit-il, dans son Mémoire, page 16, elle est sœur, fille, petite-fille d’un imprimeur du roi ; et du côté maternel, son trisaïeul, Noël Claustre, avait été soldat aux gardes de Catherine de Médicis. » De plus, un frère de la future était actuellement soldat ; de sorte que tous les honneurs municipaux et militaires décoraient la famille. Le mal était que ce soldat risquait d’être pendu pour n’avoir pas obéi à deux sommations de revenir au régiment. Que fait Claustre ? Il va se jeter aux pieds de la dame Démarchais, fille de son bienfaiteur Jean-Francois de La-