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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

la précession des équinoxes de temps immémorial. Cependant il n’a vu que quelques brames du Tanjaour vers Pondichéry ; il n’a point pénétré, comme M. Holwell, jusqu’à Bénarès, l’ancienne école des brahmanes ; il n’a point vu ces anciens livres que les brames modernes cachent soigneusement aux étrangers et à quiconque n’est pas initié à leurs mystères, M. Le Gentil n’a levé qu’un coin du voile sous lequel les savants brames se dérobent à la curiosité inquiète des Européans ; mais il en a vu assez pour être convaincu que les sciences sont beaucoup plus anciennes dans l’Inde qu’à la Chine même[1].

Ce savant homme ne croit point à leur généalogie : il la trouve très-exagérée. La nôtre n’est-elle pas évidemment aussi fautive, quoique plus récente ? Nous avons soixante et dix systèmes sur la supputation des temps : donc il y a soixante-neuf systèmes erronés, sans qu’on puisse deviner quel est le soixante et dixième véritable ; et ce soixante et dixième inconnu est peut-être aussi faux que tous les autres.

Quoi qu’il en soit, il résulte invinciblement que, malgré le détestable gouvernement de l’Inde, malgré les irruptions de tant d’étrangers avides, les brames ont encore des mathématiciens et des astronomes ; mais en même temps ils ont tous le ridicule de l’astrologie judiciaire, et ils poussent cette extravagance aussi loin que les Chinois et les Persans. Celui qui écrit ces mémoires a envoyé à la Bibliothèque du roi[2] le Cormo-Veidam, ancien commentaire du Veidam : il est rempli de prédictions pour tous les jours de l’année, et de préceptes religieux pour toutes les heures. Ne nous en étonnons point : il n’y a pas deux cents ans que la même folie possédait tous nos princes, et que le même charlatanisme était affecté par nos astronomes. Il faut bien que les brames, possesseurs de ces éphémérides, soient très-instruits. Ils sont philosophes et prêtres comme les anciens brahmanes ; ils disent que le peuple a besoin d’être trompé, et qu’il doit être ignorant. En conséquence, comme les premiers brachmanes marquèrent par les hiéroglyphes de la tête et de la queue du dragon[3] les nœuds de la lune dans lesquels se font les éclipses, ils débitent que ces phénomènes sont causés par les efforts du dragon

  1. Voyez les Mémoires de la Chine, rédigés par Duhalde. Il y est dit que, dans le cabinet des antiques de l’empereur Cam-hi, les plus anciens monuments étaient indiens. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez, dans la présente édition, la lettre du 13 juillet 1761 ; et la note tome XXVI, page 392.
  3. Voyez tome XII, page 438.