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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

qui attaque la lune et le soleil. La même ineptie est adoptée à la Chine. On voit dans l’Inde des millions d’hommes et de femmes qui se plongent dans le Gange pendant la durée d’une éclipse, et qui font un bruit prodigieux avec des instruments de toute espèce pour faire lâcher prise au dragon. C’est ainsi à peu près que la terre a été longtemps gouvernée en tout genre.

Au reste, plus d’un brame a négocié avec des missionnaires pour les intérêts de la compagnie des Indes ; mais il n’a jamais été question entre eux de religion.

D’autres missionnaires (il le faut répéter) se sont hâtés, en arrivant dans l’Inde, d’écrire que les brames adoraient le diable[1], mais que bientôt ils seraient tous convertis à la foi. On avoue que jamais ces moines d’Europe n’ont tenté seulement de convertir un seul brame, et que jamais aucun Indien n’adora le diable, qu’ils ne connaissaient pas. Les brames rigides ont conçu une horreur inexprimable pour nos moines quand ils les ont vus se nourrir de chair, boire du vin, et tenir à leurs genoux de jeunes filles dans la confession. Si leurs usages ont été regardés par nous comme des idolâtries ridicules[2], les nôtres leur ont paru des crimes.

Ce qui doit être plus étonnant pour nous, c’est que, dans aucun livre des anciens brachmanes, non plus que dans ceux des Chinois, ni dans les fragments de Sanchoniathon, ni dans ceux de Bérose, ni dans l’Égyptien Manéthon, ni chez les Grecs, ni chez les Toscans, on ne trouve la moindre trace de l’histoire sacrée judaïque, qui est notre histoire sacrée. Pas un seul mot de Noé[3], que nous tenons pour le restaurateur du genre humain ; pas un seul mot d’Adam, qui en fut le père ; rien de ses premiers descendants. Comment toutes les nations ont-elles perdu les titres de la grande famille ? Comment personne n’avait-il transmis à la postérité une seule action, un seul nom de ses ancêtres ? Pour-

  1. Voyez tome XVII, page 122 ; XVIII, 35 ; XIX, 366.
  2. Un des grands missionnaires jésuites, nommé de Lalane, a écrit en 1709 : « On ne peut douter que les brames ne soient véritablement idolâtres, puisqu’ils adorent des dieux étrangers. » (Tome X, page 14, des Lettres édifiantes.)

    Et il dit (page 13) : « Voici une de leurs prières, que j’ai traduite mot pour mot :

    « J’adore cet être qui n’est sujet ni au changement ni à l’inquiétude : cet être, dont la nature est indivisible ; cet être, dont la spiritualité n’admet aucune composition de qualités ; cet être, qui est l’origine et la cause de tous les êtres, et qui les surpasse tous en excellence ; cet être, qui est le soutien de l’univers, et qui est la source de la triple puissance. »

    Voilà ce qu’un missionnaire appelle de l’idolâtrie. (Note de Voltaire.)

  3. Voyez tome XXVI, page 201.