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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

çais[1] partagea avec l’amiral anglais l’honneur de la journée, c’est que l’Anglais ne tenta point de jeter du secours dans le fort Saint-David, assiégé.

Tout s’opposait dans Pondichéry à l’entreprise du général. Rien n’était prêt pour le seconder. Il demandait des bombes, des mortiers, des outils de toute espèce ; on n’en avait point. Le siége traînait en longueur, on commençait à craindre l’affront de l’abandonner ; l’argent même manquait. Les deux millions apportés sur la flotte, et remis au trésor de la compagnie, étaient déjà consommés : le conseil marchand de Pondichéry avait cru nécessaire de payer des dettes pressantes pour ranimer un crédit expiré : il avait mandé à Paris que si l’on ne le secourait pas de dix millions, tout était perdu. Le gouverneur de Pondichéry pour l’administration marchande, successeur de Godeheu, écrivait au général, le 24 mai, ce billet qu’il reçut à la tranchée :

« Mes ressources sont épuisées, et nous n’avons plus rien à attendre que d’un succès. Où en trouverai-je de suffisantes dans un pays ruiné par quinze ans de guerre, pour fournir aux dépenses de votre armée et aux besoins d’une escadre par laquelle nous attendions bien des espèces de secours, et qui se trouve au contraire dénuée de tout[2] ? »

Ce seul billet explique la cause de tous les désastres qu’on avait éprouvés, et de tous ceux qui suivirent[3]. Plus la disette de toutes les choses nécessaires se faisait sentir dans la ville, plus on blâmait le général d’avoir entrepris le siége de Saint-David.

Malgré tant de traverses et tant d’obstacles, le général emporte, l’épée à la main, quatre forts qui couvraient Saint-David, et force le commandant anglais à se rendre. On trouva dans la place cent quatre-vingts canons, des provisions de toute espèce, dont on manquait à Pondichéry, et de l’argent dont on manquait encore davantage. Il y avait trois cent mille livres en espèces et autant en effets, qui furent remis au trésorier de la compagnie.

  1. Nous donnons le nom d’amiral au chef d’escadre, parce que c’est le titre des chefs d’escadre anglais. Le grand amiral est en Angleterre ce qu’est l’amiral en France. (Note de Voltaire.)
  2. Ce billet est une réponse à la lettre que Lally écrivait à ce gouverneur, le 18 mai, et qui est reproduite dans le Précis du Siècle de Louis XV, chap. xxxiv.
  3. Voltaire ne dit pas que, pour pousser le siége avec vigueur, Lally mit en réquisition tous les Hindous de Pondichéry, sans distinction de castes, et voulut les employer à traîner l’artillerie ; qu’une profonde horreur éclata dans l’Inde au spectacle de cette profanation inouïe ; que les supplications du conseil de Pondichéry furent repoussées avec mépris par Lally, qui prétendait tout briser devant lui, etc., etc. (G. A.)