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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

Les séditieux s’en prirent à M. Dubois, ancien et brave officier, âgé de soixante et dix ans, intendant de l’armée, qui passa un moment après : cet intendant, l’homme du roi, fut assassiné ; on le vola, on le dépouilla nu ; on l’enterra dans un jardin : ses papiers furent saisis sur-le-champ dans sa maison, et on ne les a jamais revus.

Pendant que le général Lally était conduit à Madras, des employés de la compagnie obtinrent à Pondichéry la permission d’ouvrir ses coffres, comptant y trouver des trésors en or, en diamants, en lettres de change : ils n’y trouvèrent qu’un peu de vaisselle, des bardes, des papiers inutiles, et ils n’en furent que plus acharnés ; ces mêmes effets furent saisis par la douane anglaise jusqu’à ce que Lally eût satisfait aux dettes qu’il avait contractées en son nom pour la défense de la place.

Accablé de chagrins et de maladies, Lally, prisonnier dans Madras, demanda vainement qu’on différât son transport en Angleterre : il ne put obtenir cette grâce. On le mena de force à bord d’un vaisseau marchand dont le capitaine le traita inhumainement pendant toute la traversée. On ne lui donnait pour tout soulagement que du bouillon de porc. Ce patron anglais croyait devoir traiter ainsi un Irlandais au service de France. Bientôt les officiers, le conseil de Pondichéry, et les principaux employés, furent obligés de le suivre ; mais avant d’être transférés ils eurent la douleur de voir commencer la démolition de toutes les fortifications qu’ils avaient faites à leur ville, la destruction de leurs immenses magasins, de leurs halles, de tout ce qui pouvait servir au commerce, comme à la défense, et jusqu’à leurs propres maisons. Lally avait obtenu du général Cootes la conservation de la ville, mais Cootes ne commandait plus à Pondichéry.

M. Dupré, nommé gouverneur par le conseil de Madras, pressait cette destruction. C’était (à ce qu’on a mandé) le petit-fils d’un de ces Français que la rigueur de la révocation de l’édit de Nantes força de s’exiler de leur patrie et de servir contre elle. Louis XIV ne s’attendait pas qu’au bout d’environ quatre-vingts ans la capitale de sa compagnie des Indes serait détruite par un Français.

Le jésuite Lavaur eut beau lui écrire : « Monsieur, êtes-vous également pressé de détruire la maison où nous avons un autel domestique pour y continuer en cachette l’exercice de notre religion, etc. ? »

Dupré se souciait fort peu que Lavaur dît la messe en cachette :