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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

Le duc de Choiseul, ministre de la guerre et des affaires étrangères, était généreux à l’excès, bienfaisant et juste ; la hauteur de son âme était égale à la grandeur de ses vues ; mais il eut le malheur de céder aux clameurs de Paris : on avait décidé d’abord qu’on ne prendrait un parti qu’après le rapport fait au conseil des accusations intentées contre Lally, et des preuves sur lesquelles on les appuyait. Cette résolution si sage ne fut pas suivie. Lally fut enfermé à la Bastille dans la même chambre où avait été La Bourdonnaie, et n’en sortit pas de même.

Il s’agissait d’abord de voir quels juges on lui donnerait. Un conseil de guerre semblait le tribunal le plus convenable ; mais on lui imputait des malversations, des concussions, des crimes de péculat, dont les maréchaux de France ne sont pas juges. Le comte de Lally avait d’abord formé ses plaintes : ainsi ses adversaires ne firent en quelque sorte que récriminer. Ce procès était si compliqué, il fallait faire venir tant de témoins, que le prisonnier resta quinze mois à la Bastille sans être interrogé, et sans savoir devant quel tribunal il devait répondre. « C’est là, disaient quelques jurisconsultes, le triste destin des citoyens d’un royaume célèbre par les armes et par les arts, mais qui manque encore de bonnes lois, ou plutôt chez qui les sages lois anciennes sont quelquefois oubliées. »

Le jésuite Lavaur était alors à Paris ; il demandait au gouvernement une modique pension de quatre cents francs pour aller prier Dieu le reste de ses jours au fond du Périgord, où il était né. Il mourut, et on lui trouva douze cent cinquante mille livres dans sa cassette, en or, en diamants, en lettres de change. Cette aventure d’un supérieur des missions de l’Orient, et la banqueroute de trois millions que fit en ce temps-là le supérieur des missions de l’Occident, nommé La Valette[1] excitèrent dans toute la France une indignation égale à celle qu’on inspirait contre Lally, et fut une des causes qui produisirent enfin l’abolissement des jésuites ; mais en même temps la cassette de Lavaur prépara la perte de Lally. On trouva dans ce coffre deux mémoires, l’un en faveur du comte, l’autre qui le chargeait de tous les crimes. Il devait faire usage de l’un ou de l’autre de ces écrits, selon que les affaires tourneraient. De ce couteau tranchant à double lame, on porta au procureur général[2] celle qui blessait l’accusé. Cet

  1. Voyez tome XVI, page 100 ; et XXVI, 125.
  2. Joly de Fleury, né en 1710, frère aîné d’Orner Joly de Fleury, avocat général.