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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE.

homme du roi fit sa plainte au parlement contre le comte, de vexations, de concussions, de trahisons, de crimes de lèse-majesté. Le parlement renvoya l’affaire au Châtelet en première instance, et bientôt après des lettres patentes du roi renvoyèrent à la grand’chambre et à la Tournelle assemblées « la connaissance de tous les délits commis dans l’Inde, pour être le procès fait et parfait aux auteurs desdits délits, selon la rigueur des ordonnances ». Le mot de justice conviendrait mieux peut-être que celui de rigueur.

Comme le procureur général avait inséré dans sa plainte les termes de crime de haute trahison, de lèse-majesté, on refusa un conseil à l’accusé. Il n’eut pour sa défense d’autres secours que lui-même. On lui permit d’écrire : il se servit de cette permission pour son malheur. Ses écrits irritèrent encore ses adversaires, et lui en firent de nouveaux. Il reprochait au comte d’Aché d’avoir été cause de la perte de l’Inde en ne restant pas dans Pondichéry. Mais ce chef d’escadre avait préféré de défendre les îles de Bourbon et de France contre une invasion dont sans doute il les croyait menacées. Il avait combattu trois fois contre la flotte anglaise, et avait été blessé dans ces trois batailles. M. de Lally faisait des reproches sanglants au chevalier de Soupire, qui lui répondit, et qui déposa contre lui avec une modération aussi estimable qu’elle est rare.

Enfin, se rendant à lui-même le témoignage qu’il avait toujours fait rigoureusement son devoir, il se livra avec la plume aux mêmes emportements qu’il avait eus quelquefois dans ses discours. Si on lui eût donné un conseil, ses défenses auraient été plus circonspectes ; mais il pensa toujours qu’il lui suffisait de se croire innocent. Il força surtout M. de Bussy à lui faire une réponse, et cette réponse d’un homme en faveur duquel l’opinion s’était alors déclarée, paraissant quelques jours avant le jugement, ne pouvait manquer de faire effet sur des esprits déjà prévenus. Lally, qui tant de fois avait prodigué sa vie, et que M. de Bussy affectait de soupçonner de manquer de courage, en avait trop en insultant tous ses adversaires dans ses mémoires. C’était se battre seul contre une armée : il n’était guère possible que cette multitude ne l’accablât pas, tant les discours de toute une ville font impression sur les juges, lors même qu’ils croient être en garde contre cette séduction !