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FRAGMENTS HISTORIQUES

évêques consacrèrent ces atrocités ; nos parlements les ordonnèrent, comme on ordonne un appointé à mettre. Nos rois en firent le divertissement solennel de leurs cours gothiques. Nous avons remarqué[1] que ces jugements de Dieu furent condamnés à la cour de Rome, plus sage que les autres, et plus digne alors de donner des lois dans tout ce qui ne touchait pas à son intérêt. Nous avons traité ailleurs cette matière[2]. Nous ne ferons ici qu’une réflexion. Comment l’erreur, la démence et le crime, ayant presque en tout temps gouverné la terre entière, les hommes ont-ils pu cependant inventer et perfectionner tant d’arts merveilleux, faire de bonnes lois parmi tant de mauvaises, et parvenir à rendre la vie non-seulement tolérable dans tant de campagnes, mais agréable dans tant de grandes villes, depuis Méaco, la capitale du Japon, jusqu’à Paris, Londres, et Rome ? La véritable raison est, à notre avis, l’instinct donné à l’homme. Il est poussé malgré lui à s’établir en société, à se procurer le nécessaire, et ensuite le superflu ; à réparer toutes ses pertes, et à chercher ses commodités ; à travailler sans cesse soit à l’utile, soit à l’agréable. Il ressemble aux abeilles : elles se font des habitations commodes ; on les détruit, elles les rebâtissent ; la guerre souvent s’allume entre elles ; mille animaux les dévorent : cependant la race se multiplie ; les ruches changent, l’espèce subsiste impérissable. Elle fait partout son miel et sa cire, sans que les abeilles de Pologne viennent d’Égypte, ni que celles de la Chine viennent d’Italie.


ARTICLE XXXI.


DE L’HISTOIRE DES INDIENS JUSQU’À TIMOUR OU TAMERLAN.


Jusqu’où l’insatiable curiosité de l’esprit européan s’est-elle portée ? Du temps de Tite-Live, c’était être savant que de connaître l’histoire de la république romaine, et d’avoir quelque teinture des auteurs grecs. Cette nouvelle passion des archives n’a peut-être pas six mille ans d’antiquité, quoique Platon dise en avoir vu de dix mille ans. Les hommes ont été très-longtemps comme tous nos rustres, qui, entièrement occupés de leurs besoins et de leurs travaux toujours renaissants, ne s’embar-

  1. Voyez tome XVIII, page 596.
  2. Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, chap. xxii. (Note de Voltaire.) — Tome XI, page 291.