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FRAGMENT

précédé dès longtemps l’Europe dans la connaissance de tous les arts nécessaires. Nous ne sommes point enthousiastes des lieux éloignés et des temps antiques ; nous savons bien que l’Orient entier, loin d’être aujourd’hui notre rival en mathématiques et dans les beaux-arts, n’est pas digne d’être notre écolier ; mais, s’ils n’ont pas décoré, comme nous, le grand édifice des arts, ils l’ont construit. Nous crûmes, sur la foi des voyageurs et des missionnaires de toute espèce, tous d’accord ensemble, que les Chinois inventèrent l’imprimerie environ deux mille ans avant qu’on l’imitât dans la basse Allemagne[1] : car on y grava d’abord des planches en bois, comme à la Chine, et ce ne fut qu’après ce tâtonnement de l’art qu’on parvint à l’admirable invention des caractères mobiles. Nous dîmes que les Chinois n’ont jamais pu imiter à leur tour l’imprimerie d’Europe. M. Warburton, qui ne hait pas à tomber sur les Français, crut que nous proposions aux Chinois de fondre des caractères de leurs quatre-vingt-dix mille mots symboliques. Non ; mais nous désirâmes que les Chinois adoptassent enfin l’alphabet des autres nations, sans quoi il ne sera guère possible qu’ils fassent de grands progrès dans des sciences qu’ils ont inventées.

Toutefois leur méthode de graver sur planche nous paraît avoir de grands avantages sur la nôtre. Premièrement, le graveur qui imprime n’a pas besoin d’un fondeur ; secondement, le livre n’est pas sujet à périr, la planche reste ; troisièmement, les fautes se corrigent aisément après l’impression ; quatrièmement, le graveur n’imprime qu’autant d’exemplaires qu’on lui en demande, et par là on épargne cette énorme quantité d’imprimés qui chez nous se vendent au poids pour servir d’enveloppes aux ballots.

Il paraît incontestable qu’ils ont connu le verre avant nous. L’auteur des Recherches philosophiques sur les Égyptiens et sur les Chinois, vrai savant, puisqu’il pense, et qui ne paraît pas trop prévenu en faveur des modernes, dit que les Chinois n’ont encore que des fenêtres de papier. Nous en avons aussi beaucoup, et surtout dans nos provinces méridionales ; mais des officiers très-dignes de foi nous ont assuré qu’ils avaient été invités à dîner auprès de Kanton dans des maisons dont les fenêtres étaient figurées en arbres chargés de feuilles et de fruits, qui portaient entre leurs branches de beaux dessins d’un verre très-transparent.

Il n’y a pas soixante ans que notre Europe a imité la porce-

  1. Voyez tome XI, page 171.