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SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

Les Européans entraient alors dans deux mondes nouveaux ; celui de l’Occident a été presque tout entier noyé dans son sang. Si des fanatiques d’Europe ne sont pas venus à bout d’exterminer l’Orient, c’est qu’ils n’en ont pas eu la force : car le désir ne leur a pas manqué, et ce qu’ils ont fait au Japon ne l’a prouvé que trop à leur honte éternelle.

Ce n’est pas ici le lieu de retracer aux yeux épouvantés des lecteurs judicieux ces portraits que nous avons déjà exposés de la subversion de tant d’États sacrifiés aux fureurs de l’avarice et de la superstition, plus cruelle encore que la soif des richesses. Contenons-nous dans les bornes des recherches historiques.


ARTICLE IV.


Si les Égyptiens ont peuplé la Chine, et si les Chinois
ont mangé des hommes.


Nous avons toujours soupçonné que les grands peuples des deux continents ont été autochthones, indigènes, c’est-à-dire originaires des contrées qu’ils habitent comme leurs quadrupèdes, leurs singes, leurs oiseaux, leurs reptiles, leurs poissons, leurs arbres, et toutes leurs plantes.

Les rangifères de la Laponie et les girafes d’Afrique ne descendent point des cerfs d’Allemagne et des chevaux de Perse. Les palmiers d’Asie ne viennent point des poiriers d’Europe. Nous avons cru que les Nègres n’avaient point des Irlandais pour ancêtres. Cette vérité est si démontrée aux yeux qu’elle nous a paru démontrée à l’esprit ; non que nous osions, avec saint Thomas[1], dire que l’Être suprême, agissant de toute éternité, ait produit de toute éternité ces races d’animaux qui n’ont jamais changé parmi les bouleversements d’une terre qui change toujours. Il ne nous appartient pas de nous perdre dans ces profondeurs ; mais nous avons pensé que ce qui est a du moins été longtemps. Il nous a paru, par exemple, que les Chinois ne descendent pas plus d’une colonie d’Égypte que d’une colonie de Basse-Bretagne. Ceux qui ont prétendu[2] que les Égyptiens avaient peuplé la Chine ont exercé leur esprit et celui des autres. Nous avons applaudi à leur érudition et à leurs efforts ; mais ni la figure des Chinois,

  1. Summa catholicæ fidei, lib. XI, c. xxxii. (Note de Voltaire.)
  2. De Guignes ; voyez tome XVI, page 381.