Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
242
FRAGMENT

Plus nous étions touchés respectueusement de son repentir, plus il nous sembla qu’en effet jamais repentir ne fut mieux fondé. Nous fûmes même très-étonnés qu’on chantât encore, dans quelques églises, des hymnes attribuées à David, dans lesquelles il est dit : « Heureux qui prendra tes petits enfants, et qui les écrasera contre la pierre ! (Psaume cxxxvii[1].) — Que vos pieds soient teints de leur sang, et que la langue de vos chiens en soit abreuvée ! » (Psaume lxvii[2].) On y peut chercher un sens mystique ; mais le sens naturel est dur. Il nous semble qu’on aurait pu s’attacher aux psaumes qui enseignent la clémence plus qu’à ceux qui célèbrent la cruauté. Nous respectâmes le texte ; mais nous ne pouvions fouler aux pieds la nature.

Le même esprit d’équité nous anima quand nous nous crûmes obligé de ne point dissimuler les crimes de Constantin, de Théodose, de Clovis, etc. Ils favorisèrent le christianisme, nous en bénissons Dieu ; et si Constantin mourut arien après avoir tour à tour favorisé et persécuté Athanase, on doit en être affligé, et adorer les décrets de la Providence. Mais les meurtres de tous ses proches, de son fils même, et de sa femme, n’étaient pas sans doute des actions chrétiennes.

Constantin, tout voluptueux qu’il était, s’était fait une telle habitude de la férocité qu’il la porta jusque dans ses lois. Dioclétien avait été assez humain pour abolir la loi qui permettait aux pères de vendre leurs enfants ; Constantin rétablit cette loi barbare. Il permit aux citoyens romains de faire leurs fils esclaves en naissant[3]. On dit, pour l’excuser, qu’il ne permit ce trafic qu’aux pauvres ; mais il n’y a que les pauvres qui puissent être tentés de vendre leurs enfants. Il fallait les mettre à l’abri du besoin qui les forçait à ce commerce dénaturé ; mais l’assassin de son fils devait approuver qu’un père vendît les siens. Par la même jurisprudence, il abolit les peines établies par les lois contre les calomniateurs : c’est ce que nous soumettons au jugement de toutes les âmes honnêtes.

Nous ne pensâmes pas que Théodose eût suffisamment réparé le massacre, si longtemps prémédité, des habitants de Thessalonique, en n’allant point à la messe pendant quelques mois.

Pour Clovis, le jésuite Daniel lui-même convient qu’il fut plus méchant après son baptême qu’auparavant[4]. On est obligé

  1. C’est psaume cxxxvi, verset 9.
  2. Verset 23.
  3. Cod. lib. De Patribus qui filios. (Note de Voltaire.)
  4. « Le désir de se rendre seul et absolu monarque de toutes les Gaules fut sa passion dominante : s’il avait su la modérer, sa réputation aurait été plus nette, la fin de sa vie plus innocente, et l’on n’aurait point blâmé, dans Clovis chrétien, des cruautés si opposées à la douceur et à l’humanité qu’on avait d’abord admirées dans Clovis encore païen. » (Histoire de France, édition de 1755-57, tome I, page 77.)