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SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

« Je n’en ai de preuves que des ouï-dire vraisemblables. C’était un prince très-appliqué à la science du gouvernement... De là sont nées apparemment les opinions qu’il eût exécuté ces beaux projets si une mort précipitée ne l’eût empêché de régner. Je n’ai donc sur cela que des ouï-dire, etc. »

On pourrait répliquer à l’abbé de Saint-Pierre que ces prétendus ouï-dire n’avaient pas le moindre fondement, et qu’il les inventait pour s’autoriser d’un grand nom. Il ne tenait qu’à M. Caritidès[1] d’attribuer ses projets à Louis XIV.

Cependant, après une telle réponse, il se crut le réformateur du genre humain. Il appela son scrutin perfectionné anthropomètre et basilomètre, et continua à gouverner.

Malheureusement pour lui, parmi quarante de ses volumes on distingua sa Polysynodie, et on y fit quelque attention. Cet ouvrage essuya le même sort que l’Éloge du système de Lass, par l’abbé Terrasson. À peine cet Éloge avait-il paru que le système s’écroula de fond en comble, et lorsque l’abbé de Saint-Pierre démontrait que la polysynodie, c’est-à-dire la multitude des conseils, était la seule forme de gouvernement qu’on pût admettre, le duc d’Orléans, régent, qui d’abord avait adopté cette forme, prenait déjà des mesures pour l’abolir.

Comme l’auteur avait donné au gouvernement de Louis XIV le nom de vizirat et de demi-vizirat, le cardinal de Polignac, et le cardinal de Fleury, alors précepteur du roi, furent choqués de ces expressions : ils crurent que puisqu’on traitait de vizirs les ministres de Louis XIV, on traitait ce monarque chrétien de Grand Turc. Tous deux étaient de l’Académie, ainsi que l’abbé ; ils y portèrent leurs plaintes contre leur confrère dans deux discours qui sont imprimés.

On ne voit pas que le terme de grand vizir soit plus injurieux que celui de préfet du prétoire sous les empereurs romains ; mais enfin les plaintes des deux académiciens prévalurent contre leur confrère, et il fut exclu de l’Académie. Ce qu’il y eut de plus singulier dans cette affaire, et que nous avons remarqué dans le Siècle de Louis XIV[2], c’est que le cardinal de Polignac, en poursuivant l’auteur de la polysynodie, adoptée alors par le duc d’Orléans, régent du royaume, conspirait contre lui dans ce temps-là même. Cependant le régent, qui se doutait déjà des intrigues de Polignac, et qui ne voulut pas manifester ses soupçons, lui

  1. Personnage des Fâcheux, III, ii.
  2. Voyez tome XIV, page 129.