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SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

sa puissance et par l’amour de cette gloire à répandre des libéralités, surtout dans ses voyages ; à protéger tous les beaux-arts, non-seulement chez lui, mais chez les étrangers ; à élever des hôpitaux, des palais, des églises, et des forteresses.

Tous deux, quoique d’un caractère opposé, avaient le goût de l’ancienne chevalerie, mêlant la galanterie à la guerre, s’échappant des bras de leurs maîtresses pour aller surprendre une ville. Pellisson, dans ses Lettres[1], nous apprend que Louis XIV lui demanda si la religion lui permettait de proposer un duel à l’empereur Léopold, qui était à peu près de son âge. Il se peut qu’un tel discours ne fût pas inspiré par une envie déterminée de se battre contre ce prince ; mais pour Henri, on sait assez qu’il n’y eut point de rencontre où il ne fît le coup de main, et l’histoire n’a point de héros qu’il n’eût défié au combat. Lorsqu’à l’âge de cinquante-sept ans il était prêt de partir pour aller, sur le Rhin, se mettre à la tête de la ligue qu’on appelait protestante, contre celle à qui l’on donna le nom de papiste, il se préparait à porter les armes comme à l’âge de vingt ans. Louis XIV, après huit ans de désastres dans la guerre de la succession d’Espagne, prit la résolution ferme d’aller combattre lui-même à la tête de ce qui lui restait de troupes, quoique à l’âge de soixante et dix années.

Tous deux portèrent cet esprit de chevalerie dans leurs amours : l’un voulut épouser sa maîtresse, l’autre en effet épousa la sienne.

Il y eut dans Henri plus d’activité, plus d’héroïsme ; dans Louis, plus de majesté et plus d’éclat, plus d’art d’en imposer : l’un semblait né pour être guerrier, l’autre pour être roi.

Si Henri fut plus grand que Louis par l’excès du courage, par une lutte continuelle contre la mauvaise fortune, et contre une foule d’ennemis et de persécutions, le siècle de Louis XIV fut beaucoup plus grand que celui de Henri IV : car il fut le siècle des grands talents dans tous les genres, et celui de Henri fut le siècle des horreurs de la guerre civile, des sombres fureurs du fanatisme, et de l’abrutissement féroce des esprits ignorants.

Voilà à peu près l’idée que nous eûmes de ces deux règnes, sans nous mettre plus en peine du scrutin perfectionné que Henri IV et Louis XIV ne s’en embarrassaient.

  1. Lettres historiques de M. Pellisson, Paris, 1729, trois volumes in-12. Pellisson, tome II, page 6, dit : « On assure que... il (Louis XIV) demanda à quelqu’un si ces combats singuliers entre deux princes qui se trouvaient à la tête de leurs armées se pouvaient pratiquer en conscience. »