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FRAGMENT

Il commence par remercier Dieu de ce qu’il est venu à bout de finir ce rare ouvrage sous les yeux et avec le secours de l’auteur clandestin de la gazette ecclésiastique, « dont la plume, dit-il, est une flèche semblable à la flèche de Jonathas, fils de Saül, laquelle n’est jamais retournée en arrière, et est toujours teinte du sang des morts et de la graisse des plus vigoureux » (II, Rois, I, 22). L’abbbé Ladvocat lui répondit qu’il voyait peu de rapport entre la flèche de Jonathas teinte de graisse, et la plume d’un prêtre normand qui vendait des gazettes. D’ailleurs il persista à se rendre utile, dût-il être percé de quelque flèche de ces convulsionnaires. Le libelle du janséniste attaqua tous les gens de lettres qui n’étaient pas du parti : sa flèche fut lancée contre les Fontenelle, les Lamotte, les Saurin, qui n’en sentirent rien.

Nous avions mis au-devant du Siècle de Louis XIV une liste assez détaillée de tous les artistes qui firent honneur à la France dans ces temps illustres. Deux ou trois personnes se sont associées depuis peu pour faire un pareil catalogue des artistes de trois siècles ; mais ces auteurs s’y sont pris différemment : ils ont insulté, par ordre alphabétique, à tous ceux dont ils ont cru qu’il était de leur intérêt d’attaquer la réputation. Nous ignorons si leur flèche est retournée ou non en arrière, et si elle a été teinte de la graisse des vigoureux. Celui de la troupe qui tirait le plus mal était un abbé Sabatier[1], natif d’un village auprès de Castres, homme d’ailleurs différent en tout des gens de mérite qui portent le même nom.

Il fut payé pour tirer ses traits sur tous ceux qui font aujourd’hui honneur à la littérature par leur érudition et par leurs talents. Dans la foule de ceux qu’il attaque, on trouve feu M. Helvétius. Il le qualifie, lui et ses amis, de maniaques. « Nous pouvons assurer, dit-il, par de justes observations que ses illusions philosophiques étaient une espèce de manie involontaire... Il se contentait de gémir, dans le sein de l’amitié, de l’extravagance et des excès de maniaques, qui se glorifiaient de l’avoir pour confrère. »

L’abbé Sabatier a raison de dire qu’il était à portée de faire de justes observations sur M. Helvétius, puisqu’il avait été tiré

  1. On disait, et quelques personnes pensent encore qu’un abbé Martin, devenu fou et mort en 1776, est le principal auteur des Trois Siècles de la littérature, ouvrage dont la première édition est de 1772, trois volumes in-8o, et que l’abbé Sabatier (voyez tome VII, page 172) avait publié. (B.)