Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/306

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C’est surtout à cette sérénité qu’il faut rendre grâce de ce qu’il ne fut point persécuteur. Il ne sonda point l’opinion des hommes pour les condamner ; il ne rechercha point des fautes obscures pour les mettre au grand jour, et pour se faire un cruel mérite de les punir. Longtemps fatigué par des querelles scolastiques qui troublaient avant lui le royaume, et par ces divisions entre la magistrature et quelques portions du clergé, il voulut toujours donner aux disputants cette même paix qui était dans son cœur.

Il savait que dans un État où les maximes ont changé, et où les anciens abus sont demeurés, il est nécessaire quelquefois de jeter un voile sur ces abus accrédités par le temps ; qu’il est des maux qu’on ne peut guérir, et qu’alors tout ce que l’art peut procurer de soulagement aux hommes est de les faire vivre avec leurs infirmités.

Ne se point émouvoir, et savoir attendre, ont donc été les deux pivots de sa conduite. Il a conservé cette imperturbabilité jusque dans l’affreuse maladie qui l’a enlevé à la France, ne marquant ni faiblesse, ni crainte, ni impatience, ni vains regrets, ni désespoir ; remplissant des devoirs lugubres avec sa simplicité ordinaire, et, dans les tourments douloureux qu’il éprouvait, il a fini comme par un sommeil paisible, se consolant dans l’idée qu’il laissait des enfants dont on espérait tout.

Sa mémoire nous sera chère, parce que son cœur était bon. La France lui aura une obligation éternelle d’avoir aboli la vénalité de la magistrature[1], et d’avoir délivré tant d’infortunés habitants de nos provinces de la nécessité d’aller achever leur ruine dans une capitale où l’on ignore presque toujours nos coutumes. Un jour viendra que toutes ces coutumes si différentes seront rendues uniformes, et qu’on fera vivre sous les mêmes lois les citoyens de la même patrie. Les abus invétérés ne se corrigent qu’avec le temps. Chaque roi dont descendait Louis XV a fait du bien. Henri IV, que nous bénissons, a commencé. Louis XIII, par son grand ministre, a bien mérité quelquefois de la France. Louis XIV a fait par lui-même de très-grandes choses. Ce que Louis XV a établi, ce qu’il a détruit, exige notre reconnaissance[2]. Nous attendrions une félicité entière de son successeur, si elle était au pouvoir des hommes.

  1. La vénalité fut rétablie quelque temps après la mort de Louis XV ; voyez la note de Voltaire, tome XIX, page 288.
  2. D’Alembert fut mécontent de cette phrase ; voyez la lettre de Voltaire du 15 juin 1774.