Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/311

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peste, emploient pourtant l’inoculation depuis longtemps pour se préserver de cette autre peste de la petite vérole. Les Tartares leur ont enseigné cette méthode, qu’ils tenaient de l’Inde, et l’Inde la tenait de la Chine.

Même lorsque le médecin Mead[1] fit en Angleterre les premières expériences de l’inoculation, en 1721, il la tenta à la manière chinoise sur un des sujets qu’on lui donna, et elle réussit.

Non-seulement tout notre hémisphère conspire à détruire ce poison que les conquérants arabes apportèrent au viie siècle de notre ère ; mais les Anglais apprennent aujourd’hui à l’Amérique à combattre par l’inoculation cette maladie contagieuse dont les Espagnols l’infectèrent à la fin de notre xve siècle, en échange d’une autre peste non moins horrible que les compagnons de Colombo rapportèrent de ce nouveau monde, lorsqu’ils rendirent par leurs découvertes deux univers également malheureux. Il s’agit maintenant de guérir l’un et l’autre.

Que conclure de ce tableau, si vrai et si funeste ? Rois et princes nécessaires aux peuples, subissez l’inoculation si vous aimez la vie ; encouragez-la chez vos sujets si vous voulez qu’ils vivent.

On dit qu’aux extrémités occidentales de notre hémisphère on trouve un peuple qui habite entre l’Océan et la Méditerranée, dans l’espace d’environ huit degrés en latitude et neuf en longitude. Un petit nombre de prud’hommes[2] composait, dit-on, la partie la plus sérieuse de la nation. Dès que les prud’hommes eurent appris qu’on osait attenter sur les droits de la variole, les plus vielles têtes s’assemblèrent et raisonnèrent ainsi : « Souffrirons-nous que nos petits-enfants, qui sont tous des étourdis, prétendent échapper à une maladie dont nos grands-pères ont été en possession de mourir depuis dix siècles ? L’antiquité est trop respectable, et cette nouveauté serait trop scandaleuse. Il faut que nos druides fulminent un décret sur ce cas de conscience, et que nous rendions arrêt sur ce délit. Nous nous sommes déjà vigoureusement opposés à la découverte que firent des hérétiques de la circulation du sang ; nous avons proscrit l’émétique, qui avait guéri notre pénultième roi ; nous établîmes jadis peine de mort contre ceux qui seraient d’un autre avis qu’Aristote ; nous

  1. On prononce Mide. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XXI, page 576.
  2. Voltaire désigne les conseillers au parlement de Paris, qui rendirent, le 8 juin 1763, un arrêt contre l’inoculation ; voyez tome XXIV, page 467.