Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/312

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traitâmes l’imprimerie de sortilège. Soutenons notre gloire. Nous condamnâmes en mil quatre cent soixante-dix-sept[1] à être pendu quiconque, ayant contracté le mal de l’Amérique, ne sortirait pas de la ville en vingt-quatre heures : faisons pendre le premier insolent qui se portera bien après avoir été inoculé du mal de l’Arabie. »

Un médecin habile leur présenta requête pour faire adoucir l’arrêt. Il leur dit que, de compte fait, il n’était mort que deux personnes en Angleterre sur deux cent mille inoculés : encore ces deux morts avaient-ils été dangereusement malades avant l’opération. Ainsi il n’y avait pas même l’unité contre cent mille à parier contre la méthode anglaise. Messieurs les anciens répondirent qu’ils ne se mêlaient pas de l’algèbre.

Quelques personnes, qui se piquaient de métaphysique, firent une objection qui n’était pas meilleure que l’arrêt des prud’hommes ; la voici :

Tout est arrangé, tout est prévu, tout arrive par les ordres immuables de l’éternel Souverain de la nature ; et il est impossible que ces ordres ne soient pas immuables, puisque alors l’Être éternel serait supposé inconstant et faible. Chaque animal, chaque végétal, renfermé dans son germe, est destiné à se développer, à croître et périr dans les instants marqués, comme le soleil est destiné à faire, dans son cours, des éclipses avec les planètes dans le seul moment où ces éclipses doivent arriver ; et si ces phénomènes étaient produits une seconde plus tôt ou plus tard, ce serait un autre ordre de choses, un autre univers que celui où nous sommes. L’homme est libre ; c’est-à-dire l’homme peut faire ce qu’il veut, quand il en a la faculté ; mais il ne peut avoir la faculté de s’opposer aux décrets éternels du grand Être. Ce serait en effet s’y opposer, ce serait les anéantir, si on pouvait prolonger la vie, je ne dis pas d’un homme, mais d’une mouche, au delà de l’instant irrévocablement arrêté pour sa mort.

Donc en voulant, par l’insertion de la petite vérole, prolonger la vie d’un homme, non-seulement on tente une chose impossible, mais on se rend coupable envers la Providence éternelle.

Il est très-aisé de détruire cet argument, même en convenant qu’il est très-juste dans son principe.

Oui, tout est lié, tout est arrangé de tout temps, et pour ja-

  1. Voyez tome XIX, page 574 ; et XXI, 355. Il y a probablement dans le texte ci-dessus une faute de copiste. La date donnée tomes XIX et XXI est 1497 (1496, vieux style).