Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/340

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un seul qui ait jamais pu approcher vers ce premier principe dont nous tenons la vie, le sentiment et la pensée.

Si nous y étions arrivés, nous serions des dieux, et nous ne sommes que des aveugles qui marchons à tâtons, pour enseigner le chemin ensuite à d’autres aveugles.

Notre science n’est donc autre chose que la science des probabilités ; et c’est ce qui fait que de plusieurs médecins appelés auprès d’un malade, celui qui fait le pronostic le plus avéré par l’événement est toujours réputé, avec justice, le plus savant dans son art.

La plus grande des probabilités, et la plus ressemblante à une certitude, est qu’il existe un Être suprême et puissant, invisible pour nous, un régulateur de la grande machine, qui a formé l’homme et tous les autres êtres.

Il faut bien que cet Être formateur et inconnu existe, puisque ni l’homme, ni aucun animal, ni aucun végétal n’a pu se faire soi-même.

Il faut que cette puissance formatrice soit unique, car s’il y en avait deux, ou elles agiraient de concert, ou elles se contrarieraient. Si elles étaient conformes, c’est comme s’il n’en existait qu’une seule ; si elles étaient opposées, rien ne serait uniforme dans la nature : or, tout est uniforme. C’est la même loi du mouvement qui s’exécute dans l’homme, dans tous les animaux, dans tous les êtres : partout les leviers agissent suivant la règle qui veut que les poids à soulever soient en raison inverse de la distance du pouvoir mouvant ; et suivant cette autre loi, que ce qu’on gagne en force, on le perd en temps ; et ce qu’on gagne en temps, on le perd en force.

Toute action a ses lois. La lumière est dardée du soleil et de toute étoile fixe avec la même célérité ; elle arrive dans les yeux de tout animal avec les mêmes combinaisons. Il est donc de la plus grande probabilité que le même grand Être préside à la nature entière.

Par quelle fatalité connaissons-nous toutes les lois du mouvement, toutes les routes de la lumière ordonnées par le grand Être dans l’espace immense, toutes les vérités mathématiques proposées à notre entendement, et n’avons-nous pu parvenir encore à nous connaître nous-mêmes ? L’homme a deviné l’attraction[1] dans le siècle de Trajan ; est-il impossible de deviner l’âme ?

  1. On a dit, en effet, qu’on trouve dans Plutarque quelques expressions ambiguës dont on pourrait inférer, en les tordant et en les expliquant très-mal, que