Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/343

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ils se bornèrent à mander en Europe que les brames adoraient les furies[1].

Ce n’était point ainsi que les premiers sages, soit les Zoroastre, soit les Pythagore, voyagèrent dans l’Inde. Pythagore en rapporta le dogme de l’existence de l’âme et la fable de ses métempsycoses. D’autres philosophes y puisèrent des dogmes plus cachés, et quelques marchands même y apprirent un peu de géométrie, ce qui exigeait nécessairement un long séjour dans l’Inde.

N’entrons point ici dans la discussion épineuse des premiers livres des anciens brachmanes, écrits dans leur langue sacrée. Nous devons cette connaissance à deux savants[2] qui ont demeuré trente ans sur les bords du Gange, et qui ont appris cette langue nommée le Hanscrit. Ils nous ont donné la traduction des passages les plus singuliers, les plus sublimes, et les plus intéressants, de la première théologie des brachmanes, écrite depuis près de quatre mille ans. Ce livre, intitulé le Shasta[3], est antérieur au Veidam de quinze cents années. Voici le commencement étonnant de ce Shasta :

« L’Éternel…, absorbé dans la contemplation de son essence, résolut de communiquer quelques rayons de sa grandeur et de sa félicité à des êtres capables de sentir et de jouir… Ils n’existaient pas encore ; Dieu voulut, et ils furent. »

Il est bien étrange qu’un monument aussi ancien et aussi respectable soit à peine connu, qu’on l’ait déterré si tard, et qu’on y ait fait si peu d’attention.

Dieu créa donc des substances douées du sentiment ; et c’est ce que nous appelons aujourd’hui des âmes. Il les créa par sa volonté, sans employer, sans emprunter la parole. Ces substances sentantes, pensantes, agissantes, ces âmes favorites de Dieu, sont les Debta dont les Persans, voisins de l’Inde, firent depuis leurs Gin, leurs Péris, ou leurs Féris. Ces Gin, ces Féris, ces âmes, ces substances célestes, se révoltent ensuite contre leur Créateur. Dieu, pour les punir, les précipite dans l’Ondéra, espèce d’enfer, pour des millions de siècles[4]. C’est l’origine de la guerre des géants contre le grand dieu Zeus, tant chantée chez les Grecs ; c’est l’origine de ce livre apocryphe qui se répandit du temps de l’empereur Tibère en Syrie, en Palestine, sous le nom d’Enoch[5],

  1. Voyez tome XV, page 326 ; XVIII, 35, 320 ; XXVIII, 142 ; et ci-dessus, page 181.
  2. Holwell et Dow ; voyez la note 2 de la page 106.
  3. Voyez plus loin la neuvième des Lettres chinoises, indiennes, etc.
  4. Voyez tome XXVIII, page 537.
  5. Voyez tome XVII, page 301.