Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/350

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un dieu du pouvoir secret par lequel la nature forme du sang dans les animaux, et l’appeler le dieu de la sanguification. Et en effet le peuple romain eut des dieux pareils pour les facultés de boire et de manger, pour l’acte du mariage, pour l’acte de vider les excréments. C’étaient autant d’âmes particulières qui produisaient en nous toutes ces actions. C’était la métaphysique de la populace. Cette superstition ridicule et honteuse venait évidemment de celle qui avait imaginé dans l’homme une petite substance divine autre que l’homme même.

Cette substance est admise encore aujourd’hui dans toutes les écoles ; et par condescendance on accorde au grand Être, au fabricateur éternel, à Dieu, la permission de joindre son concours à l’âme. Ainsi on suppose que pour vouloir et pour agir, il faut notre âme et Dieu.

Mais concourir signifie aider, participer. Dieu alors n’est qu’en second avec nous. C’est le dégrader, c’est le faire marcher à notre suite, c’est lui faire jouer le dernier rôle. Ne lui ôtez pas son rang et sa prééminence ; ne faites pas du souverain de la nature le valet de l’espèce humaine.

Deux espèces de raisonneurs très-accrédités dans le monde, les athées et les théologiens, pourront s’élever contre nos doutes.

Les athées diront qu’en admettant la raison dans l’homme et l’instinct dans les brutes comme des propriétés, il est très-inutile d’admettre un dieu dans ce système ; que Dieu est encore plus incompréhensible qu’une âme ; qu’il est indigne du sage de croire ce qu’on ne conçoit pas. Ils décocheront contre nous tous les arguments des Straton et des Lucrèce. Nous ne leur répondrons qu’un mot : Vous existez ; donc il y a un Dieu.

Les théologiens nous feront plus de peine ; ils nous diront d’abord : Nous convenons avec vous que Dieu est la première cause de tout, mais il n’est pas la seule. Un grand prêtre de Minerve dit expressément : « Le second agent opère dans la vertu du premier ; ce premier pousse le second ; ce second en pousse un troisième ; tous sont agissants en vertu de Dieu ; et il est la cause de toutes les actions agissantes. »

Nous répondrons avec tout le respect que nous devons à ce grand prêtre : Il n’est et il ne peut exister qu’une seule cause véritable ; toutes les autres, qui sont subséquentes, ne sont que des instruments. Je tiens un ressort, je m’en sers pour faire mouvoir une machine. J’ai fait le ressort et la machine, je suis la seule cause, cela est indubitable.

Le grand prêtre me répondra : Vous ôtez aux hommes la