Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/351

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liberté. Je lui répliquerai : Non ; la liberté consiste dans la faculté de vouloir, et dans la faculté de faire ce que vous voulez quand rien ne vous en empêche. Dieu a fait l’homme à ces conditions, il faut s’en contenter.

Mon prêtre insistera ; il dira que nous faisons Dieu auteur du péché. Alors nous lui répondrons : J’en suis fâché ; mais Dieu est fait auteur du péché dans tous les systèmes, excepté dans celui des athées. Car s’il concourt aux actions des hommes pervers comme à celles des justes, il est évident qu’y concourir c’est les faire, quand le concourant est le créateur de tout.

Si Dieu permet seulement le péché, c’est lui qui le commet, puisque permettre et faire c’est la même chose pour le maître absolu de tout. S’il a prévu que les hommes feraient le mal, il ne devait pas former les hommes. On n’a jamais éludé la force de ces anciens arguments, on ne les affaiblira jamais. Qui a tout produit a certainement produit le bien et le mal. Le système de la prédestination absolue, le système du concours, nous plongent également dans ce labyrinthe dont rien ne peut nous tirer.

Tout ce qu’on peut dire, c’est que le mal est pour nous, et non pas pour Dieu. Néron assassine son précepteur et sa mère ; un autre assassine ses parents et ses voisins ; un grand prêtre empoisonne, étrangle, égorge vingt seigneurs romains en sortant du lit de sa propre fille. Cela n’est pas plus important pour l’Être universel, âme du monde, que des moutons mangés par des loups ou par nous, et des mouches dévorées par des araignées. Il n’y a point de mal pour le grand Être ; il n’y a pour lui que le jeu de la grande machine, qui se meut sans cesse par des lois éternelles. Si les pervers deviennent (soit pendant leur vie, soit autrement) plus malheureux que ceux qui sont immolés à leurs passions, s’ils souffrent comme ils ont fait souffrir, c’est encore une suite inévitable de ces lois immuables par lesquelles le grand Être agit nécessairement. Nous ne connaissons qu’une très-petite partie de ces lois, nous n’avons qu’une très-faible portion d’entendement ; nous ne devons que nous résigner. De tous les systèmes, celui qui nous fait connaître notre néant n’est-il pas le plus raisonnable ?

Les hommes, comme tous les philosophes de l’antiquité l’ont dit, firent Dieu à leur image. C’est pourquoi le premier Anaxagore, aussi ancien qu’Orphée, s’exprime ainsi dans ses vers : « Si les oiseaux se figuraient un dieu, il aurait des ailes ; celui des chevaux courrait avec quatre jambes. »