Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/414

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et que leur état se règle par les mêmes lois. Ces Français ne peuvent transmettre à l’héritier de leur sang la terre que leurs travaux ont fertilisée, si cet héritier a cessé pendant une année seulement, dans tout le cours de leur vie, de vivre avec eux sous le même toit, au même feu et du même pain. Privés de tous les effets civils, ils n’ont la faculté de disposer de leur patrimoine, pas même de leurs meubles, ni par donation, ni par testament ; ils n’ont pas non plus la liberté de les vendre dans leurs besoins, pour soulager leur indigence.

Une fille esclave perd irrévocablement, en se mariant, toute espérance de succéder à son père lorsqu’elle oublie de coucher la première nuit des noces dans la maison paternelle. Si elle passe cette première nuit dans le logis de son mari, elle en est punie par la perte de ses biens ; et souvent on a lancé des monitoires pour savoirs ! c’était chez son père ou chez son mari qu’elle avait perdu sa virginité.

Le serf, qui est privé de la faculté d’hypothéquer et de vendre son bien, n’a et ne peut avoir aucune espèce de crédit ; il ne peut ni faire des emprunts pour améliorer ses terres, ni se livrer au commerce.

Les femmes qui même apportent à leurs maris une dot en argent n’ont point d’hypothèque sur leurs biens pour sûreté de cette dot.

L’étranger qui viendrait habiter cette contrée barbare, s’il y demeurait une année entière, deviendrait au bout de l’année esclave de plein droit. Toute sa postérité serait éternellement flétrie de la même tache. Les moines rendent les hommes esclaves par prescription ; mais ces hommes ne peuvent pas recouvrer leur liberté par le même moyen.

Cependant ces moines prétendent justifier cet abominable usage. Ils répandent partout que les serfs sont les plus heureux de tous les hommes, et que les terres serves sont les plus peuplées.

Mais ce n’est pas à un gouvernement éclairé qu’ils persuaderont que le moyen de rendre les hommes heureux est de les rendre esclaves. On n’encourage pas les hommes au mariage en les dépouillant du patrimoine de leurs pères, en ne leur laissant que la perspective de transmettre à leurs enfants le même esclavage et la même misère.

À qui fera-t-on croire que la France est moins opulente depuis ses affranchissements généraux qu’elle ne l’était lorsque la servitude faisait la condition commune des habitants de la campagne ? que la Pologne et la Russie, où les paysans sont serfs, sont plus heu-