Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/450

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Quand la ferme ne tirerait du royaume entier qu’une fois plus à proportion qu’elle tire du pays de Gex, il paraît qu’elle tirerait de la France quatre cents millions.

Réduisons ces quatre cents millions à trois cents : voilà donc une somme énorme de trois cents millions que la ferme recueillerait en renonçant à la gabelle et au tabac, comme elle y a renoncé avec nous.

Il paraît donc que le roi ne retire pas de la France ce qu’il en pourrait tirer, quoique les peuples soient surchargés d’impôts.

On a donc lieu de présumer que l’intention du ministère est d’enrichir le roi et l’État, en simplifiant la recette et en soulageant le peuple.

En voici un exemple et une preuve. Nos dix lieues carrées payent à présent trente mille francs à la ferme, et se pourvoient de sel où elles peuvent.

Je suppose que Sa Majesté nous permettra de prendre du sel à Peccais en Languedoc : nous en ferons venir cinq mille minots, tant pour notre consommation que pour la santé de nos bestiaux, et pour l’engrais de nos terres, lesquelles étant d’une nature de terre à pot seraient fertilisées par le sel même, malgré l’ancien préjugé qui a fait du sel le symbole de la stérilité[1].

Si le roi nous laissait prendre cinq mille minots à Peccais, nous l’achèterions dix sous le quintal, comme les fermiers généraux. Ainsi un pays de dix lieues de surface fournirait au roi, pour le seul achat du sel, deux mille cinq cents livres ; et la France entière, quatre mille fois plus étendue que le pays de Gex, en achèterait pour dix millions ; et ce seul objet rendrait à la culture de la terre une armée immense de commis.

On ose croire que le ministère agit dans cette vue, et prépare toutes ses opérations suivant son grand principe de rendre la recette moins onéreuse, et de faire passer dans les coffres du roi les contributions des sujets avec les moindres frais possibles.

Ceux qui ne peuvent entrevoir que de loin une faible partie de ces projets les bénissent et les admirent : que feront ceux qui en sont les témoins ?


fin du mémoire à m. turgot
  1. Deutéronome, xxix, 23.