Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/469

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comme ambassadeur auprès du pape, pour supplier Sa Sainteté de lui accorder des missionnaires qui viendraient le baptiser, lui et les siens, toute la famille de Gengis ayant une extrême passion pour le baptême.

Faisons ici une observation qui me paraît très-curieuse : on trouve, dans les notes du poëme de l’empereur tartaro-chinois, actuellement régnant[1], que le premier des ancêtres de ce monarque étant né, comme on a vu[2], d’une vierge céleste, s’alla promener vers le pays de Moukden, sur un beau lac, dans un bateau qu’il avait construit lui-même : toute une nation était assemblée sur le bord du lac pour choisir un roi. Le fils de la vierge harangua le peuple avec tant d’éloquence qu’il fut élu unanimement. Qui croirait que Marc Paul rapporte à peu près la même aventure plus de cinq cents ans auparavant ? Elle était donc dès lors en vogue ; c’était donc un ancien dogme du pays ; l’empereur Kien-long n’a donc fait que se conformer depuis à la créance commune, comme Jules César faisait graver l’étoile de Vénus sur ses médailles. César se plaisait à descendre de la déesse de l’amour ; Kien-long veut bien se croire issu de sa vierge céleste ; et les d’Hoziers de la Chine n’en disconviennent pas.

Gonzalez de Mendoza, de l’ordre de saint Augustin, l’un des premiers qui nous ait donné des nouvelles sûres de la Chine, nous apprend qu’avant l’aventure de la vierge céleste, une princesse nommée Hauzibon[3] devint grosse d’un éclair : c’est à peu près l’histoire de Sémélé, avec qui Jupiter coucha au milieu des éclairs et des tonnerres. Les Grecs sont, de tous les peuples, ceux qui ont le plus multiplié ces imaginations orientales ; chaque pays a ses fables, on ne ment point quand on les rapporte : la partie la plus philosophique de l’histoire est de faire connaître les sottises des hommes. Il n’en est pas ainsi de ces exagérations dont tant de voyageurs ont voulu nous éblouir.

On soupçonne Marc Paul d’un peu d’enflure quand il nous dit[4] : « Moi, Marc, j’ai été dans la ville de Kinsay, je l’ai examinée diligemment ; elle a cent milles de circuit, et douze mille ponts de pierre dont les arches sont si hautes que les plus grands vaisseaux passent dessous sans baisser leurs mâts : la ville est bâtie comme Venise… On y voit trois mille bains… C’est la capi-

  1. Pages 221 et suiv. (Note de Voltaire.)
  2. Page 457.
  3. Dans son ouvrage imprimé à Rome en 1586, dédié à Sixte-Quint. (Note de Voltaire.)
  4. Pages 16 et suivantes, édition de Van der Aa. (Id.)