Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdu ce monarque, comme fait le peuple partout à la mort de son maître. L’auteur exhorte le peuple à se moquer de ce roi babylonien qu’on vient d’enterrer.

« Allons, dit-il, chantez une parabole contre le roi de Babylone. Dites : Que sont devenus ses employés des gabelles ? que sont devenus les bureaux de ces gabelles ? Le Seigneur a brisé le sceptre des impies et les verges des dominateurs ; la terre est maintenant tranquille et en silence : elle est dans la joie. Les cèdres et les sapins, ô roi ! se réjouissent de ta mort. Ils ont dit : Depuis que tu es enterré, personne n’est plus venu nous couper et nous abattre. Tout le souterrain s’est ému à ton arrivée ; les géants, les princes, se sont levés de leur trône ; ils disent : Te voilà donc percé comme nous ; te voilà semblable à nous ; ton orgueil est tombé dans les souterrains avec ton cadavre. Comment es-tu tombée du ciel, étoile du matin, étoile de Vénus, Lucifer (en syriaque Hellel) ? comment es-tu tombée en terre, toi qui frappais les nations ? etc.[1] »

Cette parabole est fort longue. Il a plu aux commentateurs d’entendre littéralement cette allégorie, comme il leur a plu d’expliquer allégoriquement le sens littéral de cent autres passages : c’est ainsi que notre saint François de Paule ayant fondé les minimes, on prêcha en Italie que son ordre était prédit dans la Genèse[2] : Frater minimus cum patre nostro. C’est ainsi que toute l’histoire de saint François d’Assise se trouve mot à mot dans la Bible. De tout cela, monsieur, nos commentateurs concluent que le serpent qui trompa notre Eve était le diable, et les Indiens concluent que le diable était leur Moisazor, qui fut ci-devant le premier des anges. Si on en croyait les anciens Perses, leur Satan serait d’une plus vieille date que notre serpent, et approcherait presque de l’antiquité de Moisazor. Chaque nation veut avoir son diable, comme chaque paroisse a son saint.

Je n’entre point dans ces profondeurs ; je remarquerai seulement que le gouverneur Holwell, après nous avoir donné une idée de ce livre si antique, et en avoir admiré le style, le compare au Paradis perdu de Milton, « à cela près, dit-il, que Milton a été entraîné par son génie inventif et ingouvernable à semer dans son poëme des scènes trop grossières, trop bouffonnes, trop opposées aux sentiments qu’on doit avoir de l’Être suprême[3] ».

  1. Isaïe, XIV, 12.
  2. Chap. XLii, vers. 13.
  3. Page 64, deuxième édition. (Note de Voltaire."")