Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prends ce caillou, et quand tu en auras trouvé un autre précisément du même poids, reviens à moi, et je te ferai boire. » Alors l’ange disparut, et les ténèbres furent plus épaisses qu’auparavant.

Alexandre sortit de la grotte à l’aide de sa jument, qui courut après son poulain. Tous les officiers, tous les valets d’Alexandre se mirent à chercher des cailloux. On n’en trouva point qui fût exactement d’une pesanteur égale à celui de Raphaël ; et cela servit à prouver cette ancienne vérité, sur laquelle Leibnitz a tant insisté depuis, qu’il est impossible que la nature produise deux êtres absolument semblables.

Enfin Alexandre prit le parti de faire ajouter une pincée de terre à son caillou pour égaler le poids, et revint tout joyeux à sa grotte sur sa jument. La porte d’acier s’ouvre, l’ange reparaît ; Alexandre lui montre les deux cailloux. L’ange, les ayant considérés, lui dit : « Mon ami, tu y as ajouté de la terre ; tu m’as prouvé que tu en es formé, et que tu retourneras à ton origine. »

Il faut que depuis on ait cru dans le Thibet qu’enfin le grand lama avait trouvé les deux cailloux et la véritable recette. C’est ainsi que nos ancêtres crurent qu’Ogier le Danois avait bu de la fontaine de Jouvence ; c’est ainsi qu’en Grèce on avait imaginé que l’Aurore avait fait présent à Tithon d’une éternelle vieillesse.

Mais ce qui me paraît plus vraisemblable, c’est que la croyance de la métempsycose, qui passa depuis si longtemps de l’Inde en Tartarie, est l’origine de cette opinion populaire que la personne du grand lama est immortelle.

Je vous prie de vouloir bien d’abord observer qu’il n’est point du tout absurde de croire à la métempsycose. C’est un dogme très-faux, je l’avoue ; il n’est point approuvé parmi nous, il peut être un jour déclaré hérétique, mais il n’a jamais été expressément condamné. On pouvait, ce me semble, supposer en sûreté de conscience que Dieu, le créateur de toutes les âmes, les faisait successivement passer dans des corps différents : car que faire des âmes de tant de fœtus qui meurent en naissant, ou qui ne parviennent pas à maturité ? Voilà des âmes toutes neuves qui n’ont point servi : ne seront-elles plus bonnes à rien ? Ne paraît-il pas très-raisonnable de leur donner d’autres corps à gouverner, ou, si vous l’aimez mieux, de les faire gouverner par d’autres corps ?

Pour les âmes qui ont habité des corps disgraciés, et qui ont souffert avec eux dans leur demeure, n’est-il pas encore très-raisonnable qu’après être délogées de leurs vilains étuis elles aillent en habiter de mieux faits ?

Je dirais plus ; il n’y a personne qui, si on lui proposait de