Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/501

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renaître après sa mort, n’acceptât ce marché de tout son cœur : quam vellent æthere in alto[1] ! Il paraît donc assez évident que ce système ne répugne ni au cœur humain ni à la raison humaine.

Il est encore évident que cette doctrine ne choque point les bonnes mœurs : car une âme qui se trouvera logée dans le corps d’un homme pour soixante ou quatre-vingts ans tout au plus devra prendre le parti d’être une âme honnête, de peur d’aller habiter après son décès le corps de quelque animal immonde et dégoûtant.

Pourquoi ce système ne fut-il reçu ni chez les Grecs, ni chez les Romains, ni même en Égypte, ni en Chaldée ? Est-ce parce qu’il n’était pas prouvé ? Non, car tous ces peuples étaient infatués de dogmes bien plus improbables. Il est à croire plutôt que la doctrine de la transmigration des âmes fut rejetée parce qu’elle ne fut annoncée que par des philosophes. Dans tout pays on disputa toujours contre le philosophe, et on recourut au sorcier. Pythagore eut beau dire en Italie :

genus attonitum gelidae formidine mortisi
Quid Styga, quid tenebras, quid numina varia timetis,
Materiem vatum falsique piacula mundi ?
Corpora, sive rogus flamma, seu tabe vetustas
Abstulerit, mala posse pati, non ulla putetis.
Morte carent animæ ; se perque, priore relicta
Sede, novis habitant domibus vivuntque receptae.
Ipse ego (nam memini), Trojani tempore belli,
Panthoïdes Euphorbus eram.

(Ovid., Metam., XV, 153.)

Ce que du Bartas[2] a traduit ainsi dans son style naïf :

Pauvres humains effrayés du trépas,
Ne craignez point le Styx et l’autre monde :
Tous vains propos dont notre fable abonde.
Le corps périt, l’âme ne s’éteint pas ;
Elle ne fait que changer de demeure,
Anime un corps, puis un autre sans fin.
Gardons-nous bien de penser qu’elle meure :
Elle voyage, et tel fut mon destin,
J’étais Euphorbe à la guerre de Troie.

  1. Virgile, En., VI, 436.
  2. Ce n’est point du Bartas, c’est Voltaire qui est le traducteur du passage d’Ovide. (B.)