Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/522

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princes du peuple que Moïse fait d’abord pendre ; et vous traduisez que Moïse les assembla avec lui pour faire pendre les coupables ! Vous pouvez savoir cependant que Zamri, qui fut assassiné le premier, était un prince du peuple (dux de cognatione[1], chef de tribu), et que sa femme ou sa maîtresse Cosbi était fille du roi ou prince de Madian, Cosbi, filiam ducis Madian[2]. Pourquoi dites-vous que ce prince et cette princesse moururent d’une épidémie, d’une peste qui emporta vingt-quatre mille hommes en un jour ? Occisi sunt[3], on les tua, signifie-t-il la peste ?

N’est-il pas vraisemblable que ces princes du peuple, tués par l’ordre exprès de Moïse, étaient à la tête d’un grand parti contre lui, et qu’ils voulaient déposséder un vieillard qu’on nous peint âgé de cent vingt ans, dont ils étaient lassés et jaloux ; un vieillard dur, et malavisé selon eux, qui pendant vingt années avait fait errer plus de deux millions d’hommes dans des déserts épouvantables, sans pain, sans habits, sans pouvoir seulement entrer dans cette terre promise, malheureux objet de tant de courses ? L’auteur du livre des Nombres, quel qu’il soit, ne dit pas cela : je ne le dis pas non plus ; mais je soupçonne qu’on peut le soupçonner.

Voici ce qui me fait croire qu’on peut me pardonner mon soupçon : je ne recherche point quel est l’auteur du livre des Nombres ; je mets à part l’opinion du grand Newton, et celle du savant Leclerc, et celle de tant d’autres. Je ne veux point deviner dans quel esprit on écrivit ce Bemiddebar, ce livre des Nombres ; je me tiens à la Vulgate reçue et consacrée dans notre sainte Église, et je n’ose même la citer que sur les difficultés qui regardent l’histoire. Je me donne bien de garde de toucher au théologique : je sens bien que cela ne m’appartient pas.

L’historique me dit donc que le prince juif nommé Zamri couchait dans sa tente avec sa femme, ou sa maîtresse, la princesse nommée Cosbi, fille du grand prince madianite, nommé Sur ; lorsque Phinée, petit-fils d’Aaron, et petit-neveu de Moïse, commença le massacre par entrer subitement dans la tente de ces princes, que l’auteur appelle bordel (lupanar[4]) ; et cet arrière-neveu de Moïse est assez vigoureux et assez adroit pour les percer tous deux d’un seul coup dans les parties de la génération, parties qui étaient sacrées chez tous les peuples de ces cantons, et sur lesquelles même on faisait les serments. Or cet assassinat

  1. Nombres, xxv, 14.
  2. Ibid., xxv, 18.
  3. Nombres, xxv, 9.
  4. Ibid., xxv, 8.