Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/524

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dire à Paris. On peut y jouer avec un prodigieux succès toutes les pièces du divin Shakespeare[1] ; mais on ne peut y professer toutes les découvertes de Newton.

C’est par la même circonspection que je ne vous parlerai ni du magistrat Collins, ni du maître ès arts Woolston, ni du lord Shaftesbury, ni du lord Bolingbroke, ni du célèbre Gordon, ni de ce fameux membre du parlement Trenchard, ni du doyen Swift, ni de tant d’autres grands génies anglais :

Quid de cumque viro, et cui dicas : Sæpe caveto.

J’ajoute : Caveto in Gallia et in Hispania plus quam in Italia. Il est vrai qu’actuellement toutes ces disputes théologales ne font plus aucun effet ni en Angleterre, ni en Hollande, ni en aucun pays du Nord : on est assez sage pour les mépriser ; un homme qui voudrait aujourd’hui expliquer certaines choses contradictoires ne serait que ridicule.

XIV. — Qui a fait la cour à des boucs et à des chèvres ?

Passons vite aux singularités historiques dont il est permis de parler. Vous êtes fâché contre mon ami de ce qu’il passe, selon vous, pour avoir dit que vos grands-pères faisaient autrefois l’amour à des chèvres, et vos grand’mères à des boucs, dans les déserts de Pharan, de Sin, d’Oreb, de Cadès-Barné, où l’on était fort désœuvré : la chose est très-vraisemblable, puisque cette galanterie est expressément défendue dans vos livres. On ne s’avise guère d’infliger la peine de mort pour une faute dans laquelle personne ne tombe ; mais si ces fantaisies ont été communes, il y a plus de trois mille ans, chez quelques-uns de vos ancêtres, il n’en peut rejaillir aucun opprobre sur leurs descendants. Vous savez qu’on ne punit point les enfants pour les sottises des pères, passé la quatrième génération ; de plus, vous ne descendez point de ces mariages hétéroclites, et quand vous en descendriez, personne ne devrait vous le reprocher :

On ne se choisit point son père ;

Par un reproche populaire

Le sage n’est point abattu[2].
  1. En 1776, avons-nous dit, Ducis n’avait encore donné au théâtre que son Hamlet et Roméo et Juliette, tragédies imitées de Shakespeare.
  2. M. Lamotte, Ode à Rousseau.