Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/541

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gnac, homme très-éloquent, proposa aux assiégés de manger tous les petits enfants l’un après l’autre, selon l’usage. Je ne me fâche point quand on me dit que c’était la coutume de nos pères. Pourquoi donc les Juifs se fâcheraient-ils quand on leur dit en conversation que leurs pères ont suivi quelquefois le conseil de ce M. de Critognac ?

Voulez-vous que j’ajoute au témoignage de César celui d’un saint, qui est d’un bien plus grand poids ? C’est saint Jérôme[1]. « J’ai vu, dit-il, dans une de ses lettres, j’ai vu, étant jeune, dans la Gaule, des Écossais qui, pouvant se nourrir de porcs et d’autres bêtes, aimaient mieux couper les fesses des jeunes garçons et les tétons des jeunes filles. » Puis servez… « Cum ipse adolescentulus in Gallia viderim Scotos, gentem britannicam, humanis vesci carnibus : et cum per silvas porcorum grèges et armentorum pecudumque reperiant, pastorum nates et feminarum papillas solere abscindere, et bas solas ciborum delicias arbitrari[2]. »

Y a-t-il donc tant à s’émerveiller, monsieur ou messieurs, que les Juifs aient fait quelquefois la même chère que nous, et que tant d’autres nations qui nous valaient bien ? Je suis persuadé que M, Pinto n’est point du tout humilié qu’une femme de Samarie ait fait autrefois, avec sa commère, la partie de manger leurs enfants l’un après l’autre. Cela fit un procès par-devant le roi d’Israël. Où avez-vous pris que les deux femmes plaidèrent devant le roi de Syrie ?

XXXI. — Menace de manger ses enfants.

Vous raisonnez, je crois, un peu légèrement quand vous dites que la menace faite par Moïse aux Juifs qu’ils mangeraient leurs enfants n’est pas une preuve que cela arrivait, et qu’on ne pouvait les menacer que d’une chose qu’ils détestaient. Dites-moi, je vous prie : de ce que César menaça nos pères, les magistrats de la ville de Vannes, de les faire pendre, en concluriez-vous qu’ils ne furent pas pendus, sous prétexte qu’ils n’aimaient pas à l’être ? On ne vous a point dit que les mères juives mangeassent souvent leurs enfants de gaieté de cœur ; on vous a dit qu’elles en ont mangé quelquefois : la chose est avérée.

  1. Lettre contre Jovinien, livre II, page 53, édition de saint Jérôme, in-folio, à Francfort, chez Christ. Genskium, 1684. (Note de Voltaire.)
  2. Voltaire, probablement citant de mémoire, avait étrangement défiguré le texte de saint Jérôme, qu’il avait cité exactement dans l’article Anthropophages des Questions sur l’Encyclopédie ; voyez tome XVII, page 270.