Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/558

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l’opinion alors commune que les morts ne peuvent souffrir. Il se moque de son auditeur, qui dit qu’il est fâcheux d’être mort : « C’est dire, lui répondit-il, qu’un homme qui n’existe pas existe. » Puis il lui cite un vers d’Épicharme, et le tourne en latin :

Emori nolo, sed me esse mortuum nihil æstimo.

Ce que l’abhé d’Olivet rend ainsi en français :

Mourir peut être un mal ; mais être mort n’est rien.

Il soutient l’anéantissement de l’homme dans le commencement de l’ouvrage, et la permanence de l’âme à la fin.

Vous me direz que Cicéron se contredit : il pourrait bien en être quelque chose ; mais c’est le privilège des philosophes de l’académie ; et vous savez que Cicéron était académicien. On a pu vous faire lire son oraison pour Cluentius, où vous avez vu ces paroles[1] : « Quel mal lui a fait la mort ? À moins que nous ne soyons assez imbéciles pour croire des fables ineptes, et pour imaginer qu’il est condamné au supplice des pervers… Mais si ce sont là des chimères, comme tout le monde en est convaincu, de quoi la mort l’a-t-elle privé, sinon du sentiment de la douleur ? — Nunc quid tandem illi mali mors attulit ? Nisi forte ineptiis ac fabulis ducimur, ut existimemus illum apud inferos impiorum supplicia perferre… Quæ si falsa sunt, id quod omnes intelligunt, quid ei tandem aliud mors eripuit, præeter sensum doloris ? »

Vous voyez que le dogme de la permanence de l’âme, tant chanté par Homère, tant supposé par Platon, était bien obscurci dans l’empire romain.

On vous aura dit sans doute, messieurs, que tout le sénat pensait alors comme Cicéron. On vous aura conté que César pensait de même, et s’en expliquait avec la plus grande hauteur. On vous aura parlé de son aventure avec Caton en pleine audience, lorsqu’il voulut sauver la vie aux complices de Catilina, en représentant, que si on les faisait périr, ce ne serait pas les punir, parce qu’ils n’auraient plus de sentiment, et que tout meurt avec l’homme.

Les Romains, vers ce temps-là, renoncèrent tellement aux opinions de leurs ancêtres et des Grecs, leurs maîtres, que saint Clément le Romain, dans le ier siècle de notre Église, commence

  1. Chapitre xli.