Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/574

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Commençons par le puéril : piacularis adolescens, dites-vous, « ne signifie pas un jeune pénitent, un jeune homme qui expie ; il signifie un jeune misérable ». Ouvrez les Estienne, les Calepin, les Scapula, tous les dictionnaires, monsieur le professeur, vous verrez que piacularis vient de pio, piare, j’expie ; en grec, sebetai.

Ce n’est là sans doute qu’un oubli de votre part ; mais ce qui n’est que trop réfléchi, c’est que vous tirez ce mot piacularis de l’inscription gravée autrefois sur la colonne expiatoire élevée, par arrêt du parlement, à l’endroit où fut la maison de Jean Châtel, l’un des assassins de notre adorable Henri IV. Vous imputez ici à mon ami d’avoir rapporté les paroles de cette inscription, qui regardent les jésuites, et où se trouve ce mot piacularis[1]. Voici les paroles latines qui désignent les jésuites, telles qu’elles sont dans le sixième tome des Mémoires de Condé :

« Pulso præterea tota Gallia hominum genere novæ ac maleficæ superstitionis, qui rempublicam turbabant, quorum instinctu piacularis adolescens dirum facinus instituerat. »

La traduction française, gravée à côté de la latine, portait : « En outre a été banni et chassé de toute la France ce genre d’hommes de nouvelle et pernicieuse superstition, qui troublaient la république, à la persuasion desquels ce jeune homme, pensant faire satisfaction de ses péchés, avait entrepris cette cruelle méchanceté. »

Il est donc faux, monsieur, qu’on ait traduit, dans le temps du supplice de Jean Châtel, piacularis adolescens par jeune misérable, comme vous le dites ; il est donc faux que pénitent soit un contre-sens.

Mais ce qui est encore plus faux, ce qui est bien pis qu’une niaiserie, c’est que vous calomniez mon ami de la manière la plus cruelle. Vous l’accusez d’avoir donné lieu à ce fatras de piacularis par un livre intitulé l’Évangile du jour[2], dans lequel il s’élève, dites-vous, contre les jésuites : je lui ai écrit pour m’informer de cet Évangile du jour, et voici sa réponse :

« Non-seulement je n’ai aucune part à cet Évangile du jour, mais vous êtes le premier qui me le faites connaître ; je n’en ai jamais entendu parler. Je ne connais que les évangiles de toute l’année, les quatre évangiles que tous ces calomniateurs ne suivent

  1. Voyez tome XXV, page 486.
  2. L’opuscule intitulé Le président de Thou justifié a été réimprimé dans le tome II de l’Évangile du jour, collection en dix-huit volumes in-8o (voyez la note, tome XXVI, page 569), à laquelle il n’est pas probable que Voltaire fût tout à fait étranger.