Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/78

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séparément ; non-seulement ils firent de vive voix cette déclaration authentique devant des juges et des témoins, mais ils la signèrent étant libres ; ils la confirmèrent dans la prison. Ils n’articulèrent pas cet aveu une seule fois ; il sortit cinq fois de leur bouche.

Voilà, messieurs, le grand nœud, le seul nœud de cette affaire qu’on a voulu embrouiller par les tours et les retours de cent nœuds différents.

L’aveu formel, l’aveu irrévocable du délit de Du Jonquay prévaudra-t-il sur les billets faits par M. de Morangiés avec trop de facilité ? La chose du monde la plus probable est que cet officier général n’a fait ces billets que pour les négocier, et qu’il a eu en Du Jonquay la même confiance qu’on a tous les jours dans les agents de change accrédités, chez lesquels on ne négocie pas autrement.

La chose la plus improbable dans tous les sens et dans toutes les circonstances, c’est que Du Jonquay ait porté à pied cent mille écus dans ses poches à l’officier général. Qui l’emportera de la plus grande vraisemblance ou de l’extrême improbabilité ?

J’ose avancer, messieurs, qu’il n’est point de juge éclairé qui ne pense, comme le roi, que jamais M. de Morangiés n’a reçu les cent mille écus[1]. Reste à savoir si, les juges étant persuadés dans le fond de leur cœur de l’impossibilité de cette dette prétendue, nos lois sont assez précises pour les forcer à condamner M. de Morangiés à payer un argent que certainement il ne doit pas.

La chicane, se mettant à la place de la justice, dont elle est l’éternelle ennemie, s’est élevée pour lui lier les mains. Elle a dit : L’aveu de Du Jonquay est formel, il est incontestable ; mais il est illégal : c’est un aveu arraché par la crainte. Un des officiers de la police avait donné un coup de poing[2] chez un procureur à Du Jonquay, et l’avait menacé du cachot, avant que ce Du Jonquay avouât et signât son crime. Son aveu est nul, et les billets payables par son adverse partie existent.

Je sais, messieurs, combien cette matière est délicate, combien il importe à la sûreté des citoyens qu’il n’y ait jamais rien d’arbitraire dans la justice. La violence la déshonore, sa sévérité ne doit jamais être emportée ; mais ce coup de poing prétendu, donné par un homme qui n’était pas en effet du corps de la justice, est-il bien avéré ? L’accusé le nie. Le parlement en jugera.

  1. Voyez page 66.
  2. C’était plus qu’un coup de poing ; voyez page 57.