Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/277

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LE CHEVALIER.

Et à quoi, s’il vous plait, qu’à me rendre encore plus malheureux ?

TRIGAUDIN.

Oh ! cela peut servir à vous ôter le scrupule que vous auriez à lui faire du mal, et c’est déjà un très-grand bien. N’est-il pas vrai que si vous lui aviez obligation, et que si vous l’aimiez tendrement, vous ne pourriez jamais vous résoudre à épouser Mlle de la Canardière au lieu de lui ? Mais à présent que vous voilà débarrassé du poids de la reconnaissance et des liens de l’amitié, vous êtes libre ; je veux vous aider à vous venger en vous rendant heureux.

LE CHEVALIER.

Comment me mettre à la place du comte de Fatenville ? Comment puis-je être aussi fat que lui ? Comment puis-je épouser sa maîtresse au lieu de lui ? Parle, réponds.

TRIGAUDIN.

Tout cela est très-aisé. Monsieur le baron n’a jamais vu monsieur votre frère aîné ; et je puis vous annoncer sous son nom, puisque en effet votre nom est le sien ; vous ne mentirez pas ; et il est bien doux de pouvoir tromper quelqu’un sans être réduit au chagrin de mentir : il faut que l’honneur conduise toutes nos actions.

MERLIN.

Sans doute ; c’est ce qui m’a réduit en l’état où je suis.

TRIGAUDIN.

Votre frère ne me donnait que dix mille francs pour lui procurer ce mariage. Je vous aime au moins une fois plus que lui : faites-moi un billet de vingt mille francs, et je vous fais épouser la fille du baron. Ce que je demande, au reste, n’est que pour l’honneur. Il est de la dignité d’un homme de votre maison d’être libéral quand il peut l’être. L’honneur me poignarde, voyez-vous.

MERLIN.

Oh ! oui, c’est votre plus cruel ennemi.

TRIGAUDIN.

Votre frère aîné est un fat.

LE CHEVALIER.

D’accord.

TRIGAUDIN.

Un suffisant pétri de cette vanité qui n’est que le partage des sots.