Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/409

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Éclairé dans sa marche et ce monde et le nôtre,
Depuis que l’un des tiens, par un noble secours,
Maître de mon destin, daigna sauver mes jours :
Mon cœur dès ce moment partagea vos misères,
Tous vos concitoyens sont devenus mes frères ;
Et je mourrais heureux si je pouvais trouver
Ce héros inconnu qui m’a pu conserver.

Zamore.

À ses traits, à son âge, à sa vertu suprême,
C’est lui ; n’en doutons point, c’est Alvarès lui-même.
Pourrais-tu parmi nous reconnaître le bras,
À qui le ciel permit d’empêcher ton trépas ?

Alvarès.

Que me dit-il ? Approche, ô ciel, ô providence !
C’est lui, voilà l’objet de ma reconnaissance.
Mes yeux, mes tristes yeux affaiblis par les ans,
Hélas ! Avez-vous pu le chercher si longtemps ?
Mon bienfaiteur ! Mon fils ! Parle, que dois-je faire ?
Daigne habiter ces lieux et je t’y sers de père.
La mort a respecté ces jours que je te dois,
Pour me donner le temps de m’acquitter vers toi.

Zamore.

Mon père, ah ! Si jamais ta nation cruelle,
Avait de tes vertus montré quelqu’étincelle,
Crois-moi, cet univers aujourd’hui désole,
Au devant de leur joug sans peine aurait volé !
Mais autant que ton âme est bienfaisante et pure,
Autant leur cruauté fait frémir la nature,
Et j’aime mieux périr que de vivre avec eux.
Tout ce que j’ose attendre et tout ce que je veux,
C’est de savoir au moins si leur main sanguinaire
Du malheureux Montèze a fini la misère,
Si le père d’Alzire… hélas ! Tu vois les pleurs
Qu’un souvenir trop cher arrache à mes douleurs.

Alvarès.

Ne cache point tes pleurs, cesse de t’en défendre,
C’est de l’humanité la marque la plus tendre.
Malheur aux cœurs ingrats et nés pour les forfaits,
Que les douleurs d’autrui n’ont attendri jamais !
Apprends que ton ami plein de gloire et d’années
Coule ici près de moi ses douces destinées.