Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/422

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J’ai tout quitté, mes dieux, mon amant, ma patrie :
Au nom de tous les trois, arrache moi la vie.
Voilà mon cœur, il vole au devant de tes coups.

Zamore.

Alzire, est-il bien vrai ? Gusman est ton époux !

Alzire.

Je pourrais t’alléguer pour affaiblir mon crime,
De mon père sur moi le pouvoir légitime,
L’erreur où nous étions, mes regrets, mes combats,
Les pleurs que j’ai trois ans donnés à ton trépas :
Que des chrétiens vainqueurs esclave infortunée,
La douleur de ta perte à leur dieu m’a donnée,
Que je t’aimai toujours, que mon cœur éperdu,
A détesté tes dieux qui t’ont mal défendu ;
Mais je ne cherche point, je ne veux point d’excuse,
Il n’en est point pour moi, lorsque l’amour m’accuse.
Tu vis, il me suffit. Je t’ai manqué de foi ;
Tranche mes jours affreux, qui ne sont plus pour toi.
Quoi ! Tu ne me vois point d’un œil impitoyable ?

Zamore.

Non, si je suis aimé, non, tu n’ès point coupable.
Puis-je encore me flatter de régner dans ton cœur ?

Alzire.

Quand Montèze, Alvarès, peut-être un dieu vengeur,
Nos chrétiens, ma faiblesse, au temple m’ont conduite,
Sûre de ton trépas, à cet hymen réduite,
Enchaînée à Gusman par des nœuds éternels,
J’adorais ta mémoire au pied de nos autels.
Nos peuples, nos tyrans, tous ont su que je t’aime,
Je l’ai dit à la terre, au ciel, à Gusman même,
Et dans l’affreux moment, Zamore, où je te vois,
Je te le dis encore pour la dernière fois.

Zamore.

Pour la dernière fois Zamore t’aurait vue !
Tu me serais ravie aussitôt que rendue !
Ah ! Si l’amour encore te parlait aujourd’hui…

Alzire.

Ô ciel ! C’est Gusman même, et son père avec lui.