Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/441

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Connu seul parmi nous par ta clémence auguste,
Tu veux donc renoncer à ce grand nom de juste !
Dans le sang innocent ta main va se baigner !

Alzire.

Venge-toi, venge un fils, mais sans me soupçonner,
Épouse de Gusman, ce nom seul doit t’apprendre
Que loin de le trahir je l’aurais su défendre.
J’ai respecté ton fils, et ce cœur gémissant,
Lui conserva sa foi même en le haïssant.
Que je sois de ton peuple applaudie ou blâmée,
Ta seule opinion fera ma renommée ;
Estimée en mourant d’un cœur tel que le tien,
Je dédaigne le reste et ne demande rien.
Zamore va mourir, il faut bien que je meure,
C’est tout ce que j’attends, et c’est toi que je pleure.

Alvarès.

Quel mélange, grand dieu, de tendresse et d’horreur !
L’assassin de mon fils est mon libérateur.
Zamore !… oui, je te dois des jours que je déteste,
Tu m’as vendu bien cher un présent si funeste…
Je suis père, mais homme ; et malgré ta fureur,
Malgré la voix du sang qui parle à ma douleur,
Qui demande vengeance à mon âme éperdue,
La voix de tes bienfaits est encore entendue.
Et toi qui fus ma fille, et que dans nos malheurs,
J’appelle encore d’un nom qui fait couler nos pleurs,
Va, ton père est bien loin de joindre à ses souffrances
Cet horrible plaisir que donnent les vengeances.
Il faut perdre à la fois par des coups inouïs,
Et mon libérateur, et ma fille et mon fils.
Le conseil vous condamne, il a dans sa colère
Du fer de la vengeance armé la main d’un père.
Je n’ai point refusé ce ministère affreux…
Et je viens le remplir pour vous sauver tous deux.
Zamore, tu peux tout.

Zamore.

Je peux sauver Alzire ?
Ah ! Parle, que faut-il ?

Alvarès.

Croire un dieu qui m’inspire,
Tu peux changer d’un mot et son sort et le tien ;
Ici la loi pardonne à qui se rend chrétien.