Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/92

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ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

Je n’ai d'autre parti que celui de mon cœur 1 Non que pour ce héros mon âme prévenue Prétende à ses défauts fermer toujours ma vue ; Je ne m’aveugle pas : je vois avec douleur De ses emportements l'indiscrète chaleur : Je vois que de ses sens l’impétueuse ivresse L’abandonne aux excès d’une ardente jeunesse ; Et ce torrent fougueux, que j’arrête avec soin, Trop souvent me l’arrache, et l'emporte trop loin. Il est né violent, non moins que magnanime ; Tendre, mais emporté, mais capable d’un crime. Du sang qui le forma je connais les ardeurs. Toutes les passions sont en lui des fureurs : Mais il a des vertus qui rachètent ses vices. Eh ! qui saurait, madame, où placer ses services, S’il ne nous fallait suivre et ne chérir jamais Que des cœurs sans faiblesse, et des princes parfaits ? Tout mon sang est à lui ; mais enfin cette épée Dans celui des Français à regret s’est trempée ; Ce fils de Charles Six… </poem>

ADÉLAÏDE.

                      Osez le nommer roi, 

Il l’est, il le mérite. </poem>

COUCY.

                     Il ne l’est pas pour moi. 

Je voudrais, il est vrai, lui porter mon hommage ; Tous mes vœux sont pour lui ; mais l’amitié m’engage. Mon bras est à Vendôme, et ne peut aujourd’hui Ni servir, ni traiter, ni changer, qu’avec lui. Le malheur de nos temps, nos discordes sinistres, Charles qui s’abandonne à d’indignes ministres, </poem>


1. « Le poëte n’ose ici, dit M. A. Lacroix dans son étude sur l'Influence de Shakespeare, appliquer la manière du tragique anglais ; pourtant le cadre se prêtait bien à l’une de ces peintures vastes. Shakespeare, lui aussi, avait jeté l’un de ses drames au milieu de cette fameuse époque do Henri IV, de Henri V, et de Charles VII. Mais quels immenses tableaux il nous déroule ! C’est la vie d’un peuple, c’est son histoire qui nous apparaît !… » Et Voltaire, de son côté : « J’aurais bien voulu parler un peu de ce fou de Charles VI, de cette mégère Isabeau, de ce grand homme Henri V ; mais, quand j’en ai voulu dire un mot, j’ai vu que je n’en avais pas le temps… La passion occupe toute la pièce d’un bout à l’autre. L’amour est une étrange chose ! quand il est quelque part, il y veut dominer ; point de compagnon, point d’épisode. » On voit par là comme le but de Voltaire est différent de celui de Shakespeare. (G. A.)