Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/143

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Le seigneur, étant donc en colere contre Israël, les livra entre les mains de Cuzan Razathaïm roi de Mésopotamie, dont ils furent esclaves pendant huit ans[1]. ... les enfans d’Israël furent esclaves d’églon roi des moabites pendant dix-huit ans... les enfans d’Israël envoyerent un jour des tributs à églon roi des moabites, par Aod fils de Géra. Aod se fit un poignard à deux tranchants, ayant au milieu une poignée de la longueur d’une palme, et le mit sous

    fil de l’épée sans miséricorde, les hébreux cependant épouserent leurs filles, et donnerent les leurs aux enfans de ces peuples. Mr Freret soutient que le texte est corrompu. Cette contradiction, dit-il, est trop forte. On fait dire dans le livre des juges tout le contraire de ce qu’on a dit dans le livre de Josué. Le livre des juges se contredit lui-même ; il y est énoncé, que les jébuséens demeurerent dans Jérusalem avec les enfans de Benjamin, comme ils y sont encore aujourd’hui . Et il est dit dans Josué, que les enfans de Juda ne purent exterminer les habitans de Jérusalem, et que le jébuséen y habita avec les enfans de Juda jusqu’à aujourd’hui . C’est sur quoi m l’abbé de Tilladet, et surtout Mr l’abbé de Longuerue, avaient proposé de remettre dans leur ordre tous les passages de l’écriture qui semblent se contredire, et principalement les premiers chapitres des juges et les derniers chapitres de Josué. Mais il n’y avait que l’église seule, assemblée en concile, qui pût entreprendre un ouvrage si hardi et si pénible. Il eût fallu confronter tous les exemplaires des bibles, toutes les différentes fautes des copistes, toutes les différentes leçons. Il a paru plus prudent de laisser l’ivraie avec le bon grain, que de s’exposer à perdre l’un et l’autre à la fois. Il ne reste aux fideles qu’à se défier de ce qui est intelligible, et à ne point chercher l’explication de ce qui est trop obscur. Le médecin Astruc lui-même y a échoué.

  1. Wolston ose déclarer nettement que l’histoire des juges est fausse, ou que celle de Josué l’est d’un bout à l’autre. Il n’est pas possible, dit-il, que les juifs aient été esclaves immédiatement après avoir détruit tous les habitans du Canaan avec une armée de six cents mille hommes. Quel est ce Cuzan Razathaïm roi de Mésopotamie, qui vient tout d’un coup mettre à la chaîne tous les enfans d’Israël ? Comment est-il venu de si loin, sans qu’on dise rien de sa marche ? Le texte dit bien, à la vérité, que c’est un châtiment du seigneur pour avoir donné leurs filles en mariage aux cananéens, et pour en avoir reçu des filles. Mais il est trop aisé de dire, que lorsqu’on a été vaincu c’est parce qu’on a péché, et que quand on a été vainqueur c’est parce qu’on a été fidele. Il n’y a aucune nation ni aucune bourgade de sauvages qui n’en puisse dire autant. Il sera toujours impossible de comprendre comment six cents mille hommes peuvent avoir été réduits en servitude dans le même pays qu’ils venaient de conquérir ; de-même qu’il est impossible qu’ils aient exterminé tous les anciens habitans, et qu’ensuite ils se soient alliés avec eux. Cette foule de contradictions n’est pas soutenable. Il est dit qu’au bout de huit ans d’esclavage ils chasserent et tuerent ce Cuzan Razathaïm roi de Syrie et de Mésopotamie ; mais on ne nous instruit point d’une guerre qui dut être si considérable, et le lecteur reste dans l’incertitude. Nous avons avoué dans toutes nos remarques, que le texte de l’écriture est très difficile à entendre. Il peut y avoir des transpositions de copiste ; et une seule suffit quelquefois pour répandre de l’obscurité dans toute l’histoire. Nous rédisons que le mieux est de s’en rapporter aux interpretes approuvés par l’église.